Un ange dans le jardinVoilà deux jours que Turel s’était rendu chez l’ermite, et le rêve qu’il avait fait continuait à le tourmenter avec la même vivacité. Des flashs lui remettaient en mémoire des scènes de vol dans les airs, doté d’une paire d’ailes blanches et immaculées.
C’était le crépuscule, le vieil homme était assis, savourant la brise du soir qui caressait ses cheveux blancs. L’odeur de la terre humide chatouillait ses narines et l’apaisait malgré son manque de sommeil de ces derniers jours.
Il leva la tête, s’imaginant à quoi pouvait bien ressemblait l’autre face d’Atreïa au dessus de lui par ce ciel dégagé et ce qui pouvait bien s’y passer alors qu’il était paisiblement assis là.
Il partait loin avec ses songes, ne faisant plus attention aux alentours lorsque soudain… Ses sens se remirent en éveil. Il y avait quelque chose d’inhabituel dans la forêt ce soir, quelque chose qui l’observait…
Turel était à l’affut du moindre bruissement, de la moindre odeur portée par le vent, la main sur le manche de son poignard qui pendait à sa ceinture.
Turel : « Qui va là ? Bien malheureux est celui qui croit que je suis une proie facile… »
Un rire cristallin, venu de nulle part retenti tout autour de Turel stupéfait, il n’arrivait pas à savoir d’où provenait le son, comme si la créature était partout autour de lui.
???: « Eh bien Turel, tu arrives encore à me surprendre après tant d’années ! Ton corps vieillit mais tes sens semblent s’aiguiser, qui pourrait croire que tu es aveugle… »
Turel, un sourire se dessinant sur le visage, lâcha la main de la garde de son poignard avant de répondre : « Je n’ai perdu qu’un cinquième de mes sens, mon ami, et les autres travaillent durs pour rattraper le manque laissé par ma cécité, mais tu as failli me surprendre Sahriel. Que me vaut l’honneur de ta visite, d’habitude tu passes bien plus tard dans l’année ».
L’ange survolait encore la cabane du vieux rôdeur avant de se poser délicatement sur l’herbe verte dans un léger bruissement presque inaudible.
Sahriel : « Eh bien je viens prendre des nouvelles de la famille Turel, rien de plus, rien de moins. J’avais envie de discuter un peu…»
Turel éclata de rire : « Tu sais bien que nos conversations finissent toujours en querelle »
Sahriel : « Je ne désespère pas à l’idée de t’ouvrir les yeux sur ce monde, enfin … façon de parler ».
Turel : « Le fait d’avoir perdu la vue ne m’a rien enlevé à ce que je vois du monde, un monde condamné, un monde perdu… Atreïa n’est qu’une coquille vide qui ne demande qu’à se briser en deux. Elle est l’ombre de ce qu’elle a pu être en des temps oubliés par les légendes elles mêmes ».
Sahriel : « Oui, l’arrogance des Asmodiens nous a fait tout perdre, ils ont trahi Aion… Et maintenant nous ne vivons que dans des ruines, mais nous finirons par gagner cette guerre »
Turel : « Et te voilà reparti dans tes discours patriotiques … mais admettons que vous la gagniez votre guerre, après vous ferez quoi ? Vous planterez des arbres et vous élèverez des fées… Aion se réveillera d’un long sommeil en se disant, ah tiens mes enfants ont fini leur petite querelle, réparons le monde ! Tsss je suis presque content de ne pas avoir à me coltiner ça, ce n’est pas si mal d’être mortel, au moins je garde les pieds sur terre. »
Sahriel : « C’est ton manque de foi que fait que tu n’as jamais… »
Turel : « Que je n’ai jamais quoi ? »
Sahriel : « Que tu ne t’es jamais épanoui, que tu n’es jamais devenu Daeva… Pourtant tu as des affinités avec l’Ether, inutile d’être un sage pour le voir, tu ressens ton environnement comme nul autre. Un humain normal ne pourrait pas faire mouche à tous les coups en tirant à l’arc sans ce qui lui permet de viser. »
Turel : « Ton dieu, Aion ou qui que ce soit, n’a jamais cru bon m’appeler dans les rangs de ces guerriers angéliques. Il faut croire que le troupeau de moutons que vous êtes n’a pas besoin de moi. »
Sahriel : « Je suis sûr que si tu allais à Sanctum, tu pourrais prétendre à l’ascension, Turel… J’aimerais… Je ne veux pas te perdre, tu es tout ce qui reste de notre identité, nous sommes les derniers Nafein ». L’Elyséen s’approchait alors du visage du vieil homme et caressa le visage ridé de sa main douce et chaude. Turel fit de même avec son interlocuteur, passant une main usée sur des joues lisses et roses.
Turel : « C’est incroyable, tu es mon arrière arrière arrière arrière grand père, et tu parais si jeune… Ta peau ne semble jamais avoir connu les rudesses de la vie, alors que tu as vécu des décennies de batailles. »
Sahriel : « Je n’avais que 28 ans lorsqu’Aion m’a fait don de l’immortalité, mais avec ce don, j’ai connu une grande malédiction, le lot de tous les Daevas. J’étais Sahriel Nafein et j’ai assisté à la mort de mes fils, de mes filles, de ma femme, de mes petits enfants et de mes arrières petits enfants… et ainsi de suite… Et tous sont morts de vieillesse et finalement tu es le dernier… Et sans descendance. »
Turel : « Allons, je suis sûr que tu porteras haut les couleurs familiales jusqu’à la fin des temps mon cher, j’en suis sûr. Je suis sur mes dernières années, je n’ai connu que cette ruine qui nous sert de monde, j’ai perdu des êtres chers dans une guerre qui n’était pas la mienne et mes yeux doivent encore servir de trophée aux balaurs. Je n’aspire qu’à un peu de repos désormais, un repos d’humain».
Sahriel : « Alors je te laisserai te reposer si tel est ton choix, mais pense que chaque destin doit être accompli, de toute ma descendance, tu es le seul a avoir eu des affinités avec l’Ether, et tu as refusé ton destin. Peut être que tu aurais pu faire bouger les choses, peut être que tes idées qui divergent des miennes sont la clé d’un avenir meilleur. J’ai une guerre à mener, je ne reviendrai plus te voir, je n’ai pas envie de pleurer sur une tombe de plus. Pense à ce que tu pourrais faire d’une éternité. »
Turel : « Va… Va tuer tes frères Sahriel et laisse moi avec mon potager, de toute façon même si je changeais d’avis maintenant, je suis bien trop vieux pour accomplir la cérémonie d’ascension, tes frères ne voudraient pas d'un vieux croulant dans les rangs. Mon destin et de fertiliser un des arbres de cette forêt avec mes restes et cette fin me conviendra tout à fait. »
Dans un dernier soupir, Sahriel, le regard plein de compassion pour le dernier descendant humain des Nafein s’envola pour ne jamais revenir.