[BG] Malkièl, l'oisillon tombé du nid

Deux silhouettes contrastaient avec le paysage verdoyant de Poeta au crépuscule. La première esquissait un corps bien formé, élégant, qui avançait avec la fierté d'un lion. La seconde était plus voutée, maladroite dans sa démarche, elle semblait accuser d'une profonde fatigue.

Alrich affichait un air protecteur. Ses longs cheveux ébènes et son regard sévère suffisaient à imposer le respect auprès de ceux qui oseraient le regarder avec un air de défi. Il était ce grand frère idéal, parfois rude, parfois tendre, qu'affectionnait particulièrement Malkièl.

De fines gouttelettes perlaient sur le visage du jeune éphèbe. Ses traits et ses membres fins entretenaient son physique parfaitement ambiguë, au point qu'il restait difficile de déterminer le sexe de l'individu au premier coup d'oeil. Malkièl progressait nu(e) dans l'eau du lac, éloignant quelques flamants d'un vague geste de la main.

Malkièl riait, insouciant(e), devant la réplique de son frère. Alrich conservait un air faussement boudeur, non sans jeter un poignard de botte dans un buisson voisin qui éructait alors d'un petit cri de douleur.

Le jouvenceau se maintenait au bras de son frère sur le chemin du retour, tandis qu'Alrich conciliait autant que possible avec les ricanements des riverains. Certains revers de la main tombaient parfois, quand le rire d'un ivrogne à l'encontre du petit « couple » devenait trop gras ou qu'une main baladeuse effleurait d'un peu trop près le/la protégé(e).

Les nuages tamisaient la lumière d'un astre timide et serein, illuminant doucement un petit pré verdoyant. Alrich avait déposé à sa portée un fourreau massif ainsi qu'un large sac en toile. Malkièl s'adossait sur le tronc d'un vieux chêne, à l'écoute des divers conseils de son frère sur l'art et la manière de manier une arme au combat.

Alrich déployait de son sac un long manteau blanc, à l'effigie d'un corbeau pâle à son dos qu'il ajusta aux épaules de Malkièl.

Emu(e), Malkièl hésita, refusa plusieurs fois même un tel présent avant d'enlacer Alrich.

Un long apprentissage de la puissance de l'Ether et une stricte discipline attendaient les nouvelles ailes du clan du corbeau blanc. Cette communauté élitiste rivalisait en terme de sauvagerie avec les plus féroces Asmodiens avides de sang et de carnages. Nombre de « corbeaux » grandissaient et développaient leurs capacités au sein des Abysses, refusant toutes les joies d'une vie paisible au sein d'Elysea. Mais si les efforts du clan à l'encontre des Asmodiens étaient loués par les seigneurs Elyséens, certains débordements furent le premier pas vers la décadence. Les témoignages de glorieux Elyséens traitant des batailles Abyssales accusaient la folie progressive des « corbeaux », agressant Elyséens comme Asmodiens puis tout ce qu'ils rencontraient en chemin. Ashken Blanc-Corbeau, héritier direct et promis à devenir le nouveau chef des corbeaux à la mort de son père fut recueilli parmi une honorable famille Elyséenne après la violente dissolution du clan par un puissant escadron daeva.

Nulle haine ne grandissait en Ashken, à peine réprimait il tant bien que mal la souffrance causée par la mort de ses parents. Mais cette nouvelle famille s'attacha rapidement à lui et le baigna d'un amour sincère. Derrière ses beaux sourires, l'enfant trépignait à l'idée de retourner combattre dans les Abysses et d'effectuer ce retour aux sources que son coeur réclamait.

Puis la vie et ses joies rattrapa de nouveau le garçon devenu homme. Sa rencontre avec une certaine beauté Elyséenne donna naissance à Alrich Blanc-Corbeau puis Malkièl, cinq ans plus tard.

Ashken aspirait à faire de ses enfants de vaillants combattants respectés dans tout Elysea, et craints de ces vautours d'Asmodiens. Aussi son éducation fut sévère, parfois impitoyable, mêlant l'apprentissage des armes et l'Ether. Alrich, promis à devenir un puissant Daeva, répondait à toutes les attentes de son paternel. Le sort fut moins clément envers Malkièl, plus frêle que son grand frère et d'une santé fragile en comparaison. Néanmoins, l'amour profond que lui portait Alrich et sa mère atténuaient les sanctions de son père.

Au fil des années, les arts, le chant et la foi en Aion grandissaient dans le coeur de Malkièl. La mort de sa mère fut une épreuve difficile dans sa quête de foi, qu'il/elle surmonta en compagnie d'Alrich tandis que son père sombrait progressivement dans l'alcool et la haine.

Esquissant un joli sourire d'enfant, Malkièl montrait son contentement devant les projets de son frère qu'il/elle cautionnait pleinement. Hélas, le sourire se dissipa bien vite aux propos suivants.

Le sang imbibait doucement l'herbe fraiche aux pieds du chêne. Malkièl fêtait seul(e) ses 22 ans, vêtu(e) d'une armure bien trop lourde pour son gabarit, recouverte d'une épaisse couche de gilet et de son manteau blanc. De petites entailles au niveau des poignets laissaient écouler sa vie comme un sablier, tandis que sa main droite serrait encore une vieille lettre partiellement froissée.

Tandis que la pluie couvrait ses larmes, une longue plume caressa sa belle chevelure avant de s'échouer sur ses genoux. Celle ci scintillait doucement, émanant d'une douce chaleur. Malkièl, hagard(e), l'empoignait, la contemplait sous plusieurs angles. En la maintenant en direction d'un petit chemin, l'aura d'or l'enveloppant semblait s'éteindre. En direction du nord, la lueur s'affolait, comme pour indiquer la voie à suivre.

D'un pas lent, hasardeux, le jouvenceau, hébété, progressait dans un petit village de Poeta. Ses lèvres s'écartaient doucement afin d'exprimer sa peine.

Elle sillonnait cloaques et vals d'Asmodae,
Et s'élèvait jusqu'aux sinistres montagnes de schiste,
Elle qui résonnait dans la tour d'éternité,
Cette promesse qui soudain se brise...m'attriste...

Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ce monde là ?
Qui a poussé mon frère dans l'au-delà ?

Je me souviens si bien, de sa voix chaude, exquise
Que le vent dissipait d'une brise...
J'oublie parfois hélas, les bras si tièdes, berceurs,
De ce frère si cher à mon coeur...

Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ce monde là ?
Qui a poussé mon frère dans l'au-delà ?

Il me fit, un matin, la douce promesse,
Celle de devenir cet ange merveilleux,
Pour un monde plus juste, serein et radieux,
Afin que cet insensé conflit cesse.

Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ce monde là ?
Qui a poussé mon frère dans l'au-delà ?

La lumière de la plume se manifestait d'avantage dès lors que Malkièl s'approcha d'une modeste auberge, dont le vieux panneau de bois affichait encore les mots « taverne de l'Astre ». Il/elle regardait celle ci, comme pris(e) d'un éclair de lucidité.

Mais je ne puis te suivre, horreur !
Ton devoir est maintenant mien !
Puisse ma voix adoucir les coeurs,
Elyséens comme Asmodiens...