[BG] Kurashuji

La nuit était tombée sur Sanctum, et les couloirs du Lycéum étaient depuis longtemps déserts. Les étudiants étaient partis et seuls restaient quelques professeurs et scientifiques poursuivant leurs recherches. Soudain, venant briser le calme de ce haut lieu de savoir, un cri de femme retentit et fit écho dans les couloirs de l'illustre bâtiment. La puissance ne laissait aucun doute possible, il s'agissait d'un cri de douleur et celle qui le poussait devait sérieusement déguster. Semblant chercher du renfort, une vieille affolée, sortit d'une pièce et se précipita vers un groupe de 3 hommes qui attendaient non loin de là en s'écriant : "Venez vite, nous allons avoir besoin d'aide !". Sans poser de question, les hommes la suivirent alors au pas de course. Comment des ennemis avaient-ils pu s'introduire si profondément dans le cœur de la cité ? Là n'était pas la question et la bataille qui allait être menée s'annonçait mémorable.

Ce qui accueilli les hommes fut un second cri, toujours empreint d'une indicible douleur. La moribonde était allongée sur une table, un homme lui tenant la main et ne sachant visiblement pas quoi faire pour lui venir en aide essayait de lui murmurer des paroles réconfortantes pour accompagner ses derniers instants sur Atréia. Où étaient passés ceux qui avaient mis la pauvre femme dans cet état, nul ne semblait pourtant s'en inquiéter.

Au troisième cri, la vieille se retourna vers les 3 hommes : "Ne restez donc pas plantés là, allez nous chercher du linge propre et de l'eau chaude ! Vous voyez bien qu'elle est en train d'accoucher !" Et se retournant vers l'homme agenouillé elle lui fit un sourire réconfortant "La nuit promet d'être longue". Et elle le fut. Le travail dura des heures et c'est au petit matin, à l'arrivée des tout premiers étudiants, comme pour les saluer, que ce furent cette fois les pleurs d'un nouveau né qui firent résonner les couloirs du Lycéum. La vieille se tourna vers le couple et, tout en déposant l'enfant dans les bras de sa mère, leur annonça dans un sourire : "C'est un garçon. Comment allez-vous l'appeler ?". Exténuée par la nuit qu'elle venait de passer, la femme posa un regard rempli d'amour à celui qui l'avait faite tant souffrir quelques minutes plus tôt mais qu'elle chérissait pourtant comme le plus important trésor au monde. Lui était déjà parti au pays des rêves et ne s'inquiétait pas du tout de savoir comment ses parents allaient décider de l'appeler. La mère tourna alors la tête vers la vieille et répondit "Kurashuji".

Ayant grandi au sein du Lycéum, le jeune Kura faisait preuve d'une curiosité et d'une imagination débordante qui faisaient la fierté de ses parents. Il était le digne fils d'Ulrich et Kalycia Shinael, deux des plus brillants scientifiques de Sanctum. Avec une telle parenté, il n'y avait rien d'étonnant à le voir chercher à faire des expériences avec le moindre objet bizarre tombé à portée de main. Petit il était même devenu la Némésis de ses nourrices tant il fallait faire attention à toujours le garder à l'œil sous peine de le voir déclencher une catastrophe.

Alors qu'il avait 8 ans, ses parents se virent confier une mission visant à explorer les ruines de la Tour de l'Eternité. Etant très protecteurs et n'aimant pas savoir leur enfant loin d'eux, ils décidèrent de l'emmener. Quoi de plus formateur pour un enfant que la découverte de tels vestiges. Il allait pouvoir apprendre l'histoire de sa patrie et de ses ancêtres non pas à travers des livres, mais en allant directement sur place, dans un lieu historique !

Les jours passaient et les parents de Kura étaient fascinés par leurs découvertes, explorant chaque fois un peu plus profondément les ruines. La zone étant tout de même relativement dangereuse, l'enfant restait auprès de ses parents. Un soir ils furent bloqués dans leur exploration par un éboulis ne laissant pas assez d'espace pour atteindre la salle se trouvant derrière. Un peu déçus car ils s'attendaient à une découverte importante, ils durent faire demi-tour et rejoindre leur campement, n'ayant pas le temps de dégager la voie avant la nuit.

Le feu crépitait dans le campement et tout le monde était couché depuis un moment excepté 2 soldats qui avaient pour mission de monter la garde pendant la nuit. Il y avait pourtant une personne qui ne dormait pas : le petit Kura. Le scintillement qu'il avait pu apercevoir de l'autre côté de l'éboulis l'avait trop fasciné pour qu'il puisse fermer l'œil. Il n'arrêtait pas d'y penser, comme si une voix à l'intérieur de lui l'incitait à retourner voir. Profitant de sa petite taille et de l'obscurité, il se glissa sans un bruit à l'extérieur de la tente. Les soldats qui faisaient le guet veillaient à ce que personne n'entre dans le camp…mais pas qu'on en sorte ! Ils ne remarquèrent donc absolument pas l'enfant se faufiler vers les ruines.

Arrivé au niveau de l'éboulis, il put de nouveau voir cette lumière qui l'intriguait tant sans pour autant pouvoir discerner d'où elle provenait exactement. Sa curiosité piquée au vif il se senti "obligé" d'aller voir ça de plus prêt. Repensant à la déception de ses parents lorsqu'ils avaient du rebrousser chemin il se dit qu'il serait accueilli en héros s'il parvenait à pénétrer dans la cavité. Les adultes n'avaient pas réussi à y parvenir car ils étaient trop grands, mais pour lui, avec sa petite taille, ça serait un jeu d'enfant. Il commença alors à se glisser entre les rochers et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire il fut de l'autre coté. Quelle ne fut pas sa stupéfaction lorsqu'il se rendit compte que la lumière qu'il avait aperçue était en réalité due à la lueur des astres que renvoyaient 4 pierres précieuses enfichées dans la roche.

L'enfant était fasciné par sa découverte. Les "grands" n'avaient pas réussis à atteindre ce lieu mais lui, le petit Kura, y était parvenu. Ses parents seraient tellement fiers de lui en apprenant ça ! Gonflé de satisfaction il bomba le torse comme pour se donner de l'importance et s'imaginait déjà recevoir les louanges de tout le monde. Comme un acteur qui répète, il vivait déjà la scène qui se mettait en place dans sa tête. Soudain, interrompant son jeu d'enfant, des voix résonnèrent dans son esprit lui laissant échapper un petit cri de surprise. Les mots n'étaient pas clairs, il ne comprenait pas ce qu'ils signifiaient mais en même temps il se sentait attiré par les pierres, comme si ce qu'il "entendait" était un appel, leur appel. Il avança vers elles doucement, comme hypnotisé, les voix le berçant de leurs paroles mélodieuses.

Alors qu'il était presque au contact, une voix familière mais qui lui semblait lointaine le tira de ce rêve éveillé : "Kura non ne les touche pas !". C'était sa mère qui criait de l'autre côté de l'éboulement. Le ton était très sec et il n'avait pas l'habitude de se faire réprimander de cette façon par Kalycia d'habitude si douce. La surprise le fit sursauter à tel point qu'il perdit l'équilibre. Cherchant à se rattraper afin de ne pas tomber il s'agrippa par réflexe à la paroi la plus proche… : celle dans laquelle étaient fixées les pierres ! Alors qu'il s'affalait dessus une lumière jaillit alors de chacune d'entre elle, illuminant la pièce comme en plein jour. Des rayons se formèrent aux couleurs des 4 pierres : un rouge, un bleu, un vert et un jaune. Ils pointaient tous dans la direction de l'enfant qui s'était reculé. Une aura commença à l'entourer le faisant briller tel un petit soleil au milieu de la nuit. L'intensité augmenta jusqu'à ce que la luminosité devienne aveuglante. Un coup de tonnerre résonna puis plus rien. Les lumières s'arrêtèrent aussi brusquement qu'elles étaient apparues, replongeant la cavité dans la pénombre. Les 4 pierres ne reflétaient même plus les astres, elles étaient devenue totalement noires et opaques comme des morceaux de charbon calcinés. Le corps du gamin était étendu sur le sol, inanimé, et sur sa poitrine une légère lueur vacillante s'estompait.

_ Ca y est on est sorti ?
_ Je crois oui.
_ C'est pas trop tôt, ça commençait à faire long. Et on est où maintenant ?
_ J'espère qu'on n'est pas encore tombé sur un Shugo ! Je déteste ces bestioles, toujours en train de faire de mauvais coups et de se fourrer dans des problèmes pas possibles !
_ Non, je crois que cette fois notre hôte est humain.
_ Oui et ben j'espère que celui-ci sera plus résistant que le précédent. Le dernier a tenu 2 semaines avant de craquer.
_ Calmez-vous un peu, je crois que nous avons à faire à un enfant.
_ Un enfant ?! Comment est-ce possible. Il ne devrait pas y avoir d'enfant capable de… Enfin, il ne peut pas avoir déjà suffisamment de connaissances pour…
_ Et bien apparemment si… Pauvre petit, il n'imagine pas le fardeau qui va peser sur ses épaules à cause de nous…
_ Ni les pouvoir que nous pourrons lui procurer !

Trois jours s'étaient écoulés depuis l'incident et Kura était toujours dans le coma. Devant la gravité de la situation sa mère était rentrée directement à Sanctum avec lui et le veillait nuit et jour alors que des amis lui apportaient régulièrement des livres de la bibliothèque des sages afin qu'elle puisse éventuellement trouver un remède au mal dont souffrait son fils. De son côté, Ulrich était resté aux ruines de la Tour de l'Eternité. Ho ce n'était pas pour continuer les recherches qu'on lui avait demandé de mener, mais bien pour essayer de comprendre ce qui s'était passé cette nuit là. La réponse lui permettrait peut-être de sauver son enfant.

La cavité qui abritait les pierres était couverte d'inscriptions à moitié effacée par les aléas du temps et les déchiffrer n'était pas une mince affaire. Elles parlaient d'esprits, de démons, de sceaux et d'envoutement. Le scientifique avait peur de comprendre et ne voulait pas se résigner à accepter ce qu'il commençait à entrevoir. Mais ses recherches avançaient et il devait se rendre à l'évidence. Les esprits de 4 "démons" avaient été enfermés et scellés dans 4 pierres et, par Aion seul sait quel moyen, ils en étaient sortis et avaient pris place dans le corps de son fils. Le problème étant qu'une fois rentrés, à part en tuant leur hôte, personne ne pourrait les en faire sortir. Le seul qui soit en mesure de faire quelque chose était l'hôte lui-même : en se nourrissant de ses connaissances et expériences ils retrouveraient une partie de leur force d'antan et regagneraient ainsi de la consistance jusqu'à réussir à se libérer de leurs chaines. Cela impliquait forcément leur retour dans le monde et ce n'était donc pas vraiment une bonne nouvelle. Quel que soit le destin envisagé il n'était pas très plaisant : soit son fils allait devoir vivre toute sa vie avec des esprits dans sa tête, soit il allait lâcher sur le monde une catastrophe comme celui-ci n'en avait pas connu depuis bien longtemps… De quoi rendre fou le plus équilibré des hommes… Alors quand il s'agissait d'un enfant…

Quelques jours après le retour de son père, Kura se réveilla. Il était resté "endormi" pendant près d'une semaine mais ne semblait pas affecté plus que ça. Il avait juste l'impression d'avoir fait un long rêve mais n'avait rien perdu de sa joie de vivre et de sa curiosité. Troublés, ses parents décidèrent de ne rien lui dire au sujet des esprits. Après tout, peut-être qu'ils n'avaient pas réussi à entrer dans le corps de leur enfant. Cependant, le doute s'installa lorsqu'il leur raconta son "rêve" : Il se trouvait dans un sanctuaire au pied de la Tour de l'Eternité, celle-ci étant toujours entière. Autour de lui se trouvaient 4 esprits élémentaires, une chaîne reliant chacun d'eux à l'enfant. Ils paraissaient extrêmement puissants mais ne semblaient pas lui vouloir de mal. Kura ne se rappelait pas de ce qu'ils s'étaient dits mais il ne les considérait pas comme des ennemis. Très étrange même, l'un d'eux lui avait semblé extrêmement protecteur. Entendant cela, les parents virent leurs illusions se briser comme du verre. Ils se regardèrent comme pour décider lequel des deux allait devoir annoncer à leur fils qu'il était vraisemblablement habité par ces entités. Allez expliquer à un enfant de 8 ans qu'il devra porter un tel fardeau pour le restant de ses jours et que c'est de votre faute parce que vous avez voulu l'emmener avec vous pendant vos recherches ! Ulrich inspira profondément pour se donner du courage lorsque Kura murmura dans un sourire : "Je crois qu'ils sont là" et désigna son front.

Interloqués, les parents se regardèrent puis se fixèrent sur le visage de leur fils, visiblement satisfait du petit effet qu'il venait de produire. "Ben oui, je crois qu'ils sont là, dans ma tête. Je les ai entendus à mon réveil. C'était un peu bizarre au début, mais maintenant c'est rigolo, y en a même un qui râle tout le temps". Ils étaient sciés, cet enfant était vraiment une mine de surprises. Là ou n'importe quel adulte aurait paniqué et aurait surement sombré dans la folie, lui trouvait juste ça "rigolo". Un peu décontenancés, les parents lui expliquèrent alors calmement ce qui avait du se passer et qu'il n'y avait pour le moment aucune réelle solution à ce problème. Le petit garçon sourit simplement "Ben c'est pas un problème, ils sont gentils avec moi. Je peux aller jouer ?".

Les années passèrent, et Kura appris à vivre avec. Il se rendit vite comte que ce n'était pas si "rigolo" car il oubliait parfois qu'il était seul à entendre ces voix si bien que les gens autours avaient l'impression qu'il parlait tout seul. Les autres enfants commencèrent à le trouver bizarre et le nombre de ses amis diminua rapidement. S'isolant petit à petit des autres il était de plus en plus souvent dans la lune, allant presque jusqu'à se construire un monde imaginaire. Ca ne l'empêcha pas de mener de brillantes études et de devenir à son tour chercheur au Lycéum. Il fut même un des plus jeunes diplômés de l'histoire de Sanctum. Ulrich et Kalycia, bien que préoccupés par le manque d'amis de leur fils étaient très fiers de sa réussite. Ils espéraient qu'ainsi il parviendrait à trouver une solution là où aux avaient échoué. Mais ce n'était pas l'objectif de Kura. Il s'entendait bien avec ses "habitants", s'étant lui-même construit à leur côté, ils faisaient à présent partie intégrante de sa vie et il n'éprouvait aucunement le besoin que cela change. En revanche ce qu'ils lui avaient raconté l'intéressait beaucoup plus. En effet, durant toutes ces années ils lui avaient narré la vie avant le Cataclysme, l'époque ou Elyséens et Asmodiens ne faisaient qu'un et luttaient côte à côte contre les Balaurs. Pour eux, la guerre qui faisait rage entre les deux peuples était absurde et surtout stupide. Au lieu de se battre entre eux ils devraient plutôt s'allier pour lutter contre leur ennemi commun. Bien qu'ayant grandi en Elyséa et donc étant éduqué selon bien d'autres préceptes, Kura fut néanmoins facilement converti à cette philosophie et décida d'utiliser la science pour prouver à Atréïa entière que cette lutte fratricide n'avait aucun sens et reposait sur des chimères.

Au Lycéum cette idée ne plaisait pas à tout le monde il fut donc très vite contraint de mener ses recherches en secret. Au détour d'un livre qu'il avait découvert caché dans un recoin de la Bibliothèque des Sages, il apprit qu'il y avait bien des années un groupe d'utopistes s'étaient organisés pour vivre en paix, accueillant aussi bien les Elyséens que les Asmodiens. Tout ce qu'il apprit à leur sujet était qu'ils devaient se trouver quelque part en Poeta mais il n'avait aucune indication plus précise, et ne savait pas si cette communauté existait toujours, ni si elle avait réellement existé d'ailleurs. Poussé par les esprits (enfin sauf un), il décida de mener l'enquête directement dans la région boisée. Ses parents connaissant un peu cette province, ils lui conseillèrent une taverne dont ils avaient entendu parler. Elle ne payait pas de mine mais le service et le tavernier y étaient très accueillants. Il décida donc d'y passer la nuit… Il ne fut pas déçu.