Le corbeau blanc

La porte de la taverne s'ouvrait une énième fois sur une communauté de clients en pleine ripaille. L'étranger(e) vêtu(e) d'un long manteau blanc essorait sa longue chevelure de la fine pluie qui tombait dehors. De minuscules gouttelettes perlaient encore sur son visage d'éphèbe aux traits fins. Ses joues et ses lèvres légèrement rosées accusaient du froid qui s'installait à l'extérieur de la taverne. Malkièl pencha la tête en arrière et secoua celle ci dans un hochement efféminé, laissant sa longue chevelure cascader sur ses épaules. Quelque peu craintif, il/elle balayait l'assemblée de ses grands yeux ronds avant de grignoter l'extrémité de son pouce.

-Je...vous effectuez encore le service à cette heure ? Demandait il/elle d'une voix de fausset. J'ai entendu des voix provenant de votre établissement alors j'ai pensé que...

Sa voix ne portait pas et n'en restait que peu audible. Cherchant désespérément l'aubergiste du regard, sans imaginer que celui ci pouvait trinquer à une table voisine, Malkièl progressa en direction du comptoir d'un pas hésitant. Si certains clients lui semblaient physiquement prédisposer à déclencher des rixes de taverne, la présence de femmes et de vieillards le réconfortait. Dans son élan, ses longs cheveux s'ébattaient et laissaient entrapercevoir l'effigie d'un corbeau blanc aux ailes déployées au dos de son manteau. C'est alors qu'une main baladeuse effleura son postérieur dans un sursaut de Malkièl. Quelques rires gras et autres sifflements succédaient ce geste, provenant d'une table voisine réunissant baroudeurs et femmes désinvoltes.

-Si la minette cherche une petite place, mes genoux sont d'une chaleureuse hospitalité ! Déclarait un rustre client attablé, au visage buriné par le soleil.
-Bougre d'idiot, tu ne vois pas que c'est un garç...ah non c'est...mais... Hésitait la conjointe provisoire de l'homme bourru.

Passant outre les remarques et ce geste familier, le jouvenceau s'installait enfin au comptoir dans une petite quinte de toux sur lequel il/elle déposa ce qui s'apparentait à un livre saint. Ouvrant celui ci avec précaution, un roman mal dissimulé faisant office de marque page glissa jusqu'à ses mains. La couverture aux teintes sépias était d'avantage usée que cette "bible" que seul un clerc ou un aède aurait la patience de consulter. Malkièl entamait sa lecture, tandis que de petites larmes s'écoulaient sur ses joues à mesure que les pages se tournaient. Le titre, bien que partiellement effacé par l'usure, exposait en caractères gothiques les mots : L'aimée de l'Asmodien. D'un simple revers de la main, Malkièl essuyait ses larmes dans un geste élégant. A bien y regarder, la forme de ses yeux et de son visage, son long manteau dissimulant les reliefs de son corps ainsi que sa gestuelle ambiguë, il était presque impossible de vérifier le sexe de l'individu d'un simple coup d'oeil.
Sawyer justifiait son salaire en faisant mine d'être débordé. Il essuya vigoureusement le gras du comptoir avant de lever les yeux en direction de Malkièl.

-Mons...pardon mademoiselle, qu'est ce que je vous sers ?
-Donnez moi...quelque chose de...-Il/elle souriait discrètement- faisons simplement, je me contenterai d'une cruche de lait.
-Jamais d'alcool n'est ce pas ? -Sawyer disparaissait sous le comptoir à la recherche de la commande - Ah le voilà ! Le lait comme l'eau sont bien les seules boissons qui me restent en abondance !

Malkièl achevait sa lecture en fermant son roman avec précaution. Sawyer, curieux de comprendre cet excès de sensibilité de la part de son/sa client(e) traduisait de l'envers le titre en couverture.

-L'aimée de l'Asmodien ? Un bon livre à vous voir pleurer. De quoi parle t'il ?
-Cette histoire est celle d'une femme prisonnière des Abysses, à l'amour convoité par deux hommes, respectivement un Elyséen et un Asmodien.
-Je ne suis guère friand des romans à l'eau de rose. Qu'arrive t'il donc à ces jeunes gens ?

Toujours ému(e), Malkièl narrait les pérégrinations des trois personnages comme s'il/elle vivait pleinement l'aventure contée dans ce roman. Ses gestes, tantôt guerriers, tantôt plus tendres, imageaient les moments forts du récit.

-L'Asmodien, au cours de la dernière grande bataille, prit le dessus sur son rival. Après la mort de ce dernier, il retrouva et épousa la femme tant convoitée. Toutefois, un vide profond s'installa en lui, un manque plus précisément. A première vue, il avait tout pour satisfaire son bonheur, la victoire après treize années de duels suivie d'une idylle prête à être consommée. Pourtant...pourtant pourtant...cela ne lui confiait aucune joie. C'est ainsi que l'histoire se termine.
-Plutôt...déroutante comme fin ? Comment l'interprétez vous ?

Ajustant une mèche de cheveux derrière son oreille, Malkièl esquissait progressivement un magnifique sourire.

-De mon point de vue c'est une tragédie. Pendant treize ans, l'Elyséen et l'Asmodien ont entrechoqué cet amour par le biais des combats, amour qui a finit par s'entremêler. Cette femme n'était qu'un objectif aux premiers temps de cette lutte, mais au final, elle ne devint que le prétexte pour ses deux hommes de se retrouver, n'ayant aucune autre façon d'exprimer leurs sentiments l'un envers l'autre qu'avec le fer. Une liaison brutale, particulière, ambiguë...qui manquera cruellement au coeur de l'Asmodien...et nous rappelle que si cette guerre peut attiser la haine entre les deux camps, nos coeurs peuvent toujours battre et s'enivrer à l'encontre de nos frères et soeurs qui sont de l'autre côté.

Les rires résonnant dans la salle parvenaient jusqu'aux oreilles de Malkièl. Une curieuse sensation l'envahissait, il/elle paraissait impressionné(e) et contribuait d'un simple sourire à la bonne humeur installée.

-Cette femme est d'une euphorie contagieuse. Elle sait rire avec son coeur, mieux encore, elle sait harmoniser son univers et partager ce qu'il y'a de bon en elle. Vous n'êtes pas d'accord ?
-Hm oui oh... -Sawyer éclipsant tant bien que mal la gêne qui chauffait ses joues-

Malkièl hocha respectueusement la tête en direction de Brizza, dans un geste lent et respectueux vis à vis de cette démonstration. Ses yeux croisaient de nouveau le regard de l'aubergiste. Ses paupières se fermaient lentement tandis que son épaule gauche s'élevait pour y déposer sa tête désormais inclinée. Malkièl souriait, yeux fermés, comme un bébé.

-Pour revenir à votre question, l'idée de croiser le fer pour évoquer des sentiments plus tendres est peut être un brin romancé. Toutefois, j'aimerai vous citer un passage qui, je l'espère, vous apportera quelques réponses quant au point de vue de l'auteur.

Avec précaution, Malkièl survolait les pages de son roman entre deux gorgées de lait. Son index se dressa subitement, marquant l'aboutissement de sa recherche. L'espace d'un instant, sa voix fluette se faisait suave, pertinente, proche de celle d'un conteur.

"...et les gerbes d'étincelles jaillissant de nos lames,
se caressaient, virevoltaient, pour un bref instant,
dans un bruit de crécelle, en un brasier ardent,
Unissant à jamais, nos ardeurs et nos âmes..."

Fermant son livre dans un silence religieux, Malkièl laissa un temps de réflexion à Sawyer, durant lequel il/elle remarqua et salua l'arrivée de Cian.

-Salutations jeune-homme.
-Messire -inclinant doucement sa tête, sans que le terme "jeune-homme" ne le marque plus que l'expression "donzelle en détresse". Oh, le plat du soir a l'air fameux et équilibré. Moi qui ne pensait pas m'attarder, je pense que je peux m'accorder le temps d'un repas. Puisse Aion me pardonner qu'en cette nuit, la gourmandise soit mon péché.

Citation :

Bienvenue à la taverne de l'Astre. Je me présente Kallyope, à votre service.

-Je pense essayer cette volaille et ce pain mademoiselle, bien que j'hésite tout de même, je n'arrive toujours pas à perdre les 300 grammes pris le mois dernier.

Malkièl racontait sa vie et ses soucis sur sa ligne à une Kallyope pressée de se libérer de son/sa client(e). Son regard se perdait dans l'écuelle de soupe déposée par Sawyer sur le comptoir. Profitant d'un moment d'inattention, il/elle trempa ses lèvres et regretta son geste avant d'extirper de sa bouche, un long cheveu de Brizza.

Sawyer se retourna vers son/sa client(e), pensif comme à ses habitudes.

Citation :

-Il n’y a pas de mal à manger ce que Cian prépare, il se débrouille plutôt bien. Personne ne s’est jamais plaint de sa cuisine. Enfin une fois je crois … Mais il à changé d’avis très vite il me semble.

-Je...suis sûr(e) que sa cuisine est à la hauteur de... -cherchant une autre sortie de secours- après tout, ne dit on pas que les grands chefs cuisiniers sont pour la plupart des hommes ?

Manquant d'idée sur la meilleure manière de patienter le temps de la préparation du repas, Malkièl jouait avec l'une de ses longues mèches, lui donnait vaguement la forme d'une bouclette avant de la mettre en bouche, songeant aux propos du vieil homme aux allures de sage.

Citation :

Un jour... oui, un jour nous reconstruirons ce qui à été défait et nous éclairerons d'espoir le domaine du possible.
Car rien n'est immuable, rien n'est jamais perdu... vous en avez bien conscience je suppose Xel?

Intrigué(e), il/elle faisait mine de s'intéresser à la partie d'échecs, pour mieux contempler l'allure de Xeldysar. Quand celui ci venait à remarquer les nombreux coups d'oeil discrets, Malkièl reportait en toute hâte son regard en direction des autres personnes présentes. Croiser le regard de Brizza lui paraissait sur le coup comme le risque d'être victime d'une remarque désobligeante, proche de "Qu'est ce que tu mates ? Tu veux savoir à quelle vitesse je peux balancer mon écuelle pour te remaquiller le visage avec du velouté ?". Kallyope de son côté affichait une mine vide de sens, inexpressive, tandis que Cian et Sawyer lui tournait le dos. Où porter son regard donc ? Vers le client bourru à la main baladeuse et plus ivre que jamais, adepte du clin d'oeil coquin qui en dit long ? Ou peut être vers sa promise, regardant Malkièl avec le même appétit ?

Xeldysar avançait sa tour, dans une formation d'attaque symétrique sur le damier. "Joli coup" éructait l'étranger(e) de son côté, avant que Cian déplace son fou et lui grignote sa précédente tentative. Xel levait alors les yeux vers Malkièl, patibulaire, le/la remettant instinctivement à sa place non sans quelques rougeurs au niveau des joues.

Le jouvenceau releva doucement l'épaisse couche de gilets de sous son manteau, et délivra un petit sac peluche dont l'apparence évoquait le familier aérien des spiritualistes. Il/Elle en extirpa un tube de rouge à lèvres, à moins que ce ne soit qu'un simple baume, qu'il/elle appliqua par petits gestes. Difficile de déterminer le rendu, tant ses lèvres naturellement rosées contrastaient avec ses joues laiteuses. Malkièl glissa enfin sa main dans sa chevelure pour se saisir d'une longue plume blanche et majestueuse, auréolée d'une poussière d'or, qu'il/elle contemplait avec mélancolie tout en suçant la même mèche. Sawyer haussait un sourcil.

-Qu'est ce que vous tenez là mons...madem...-se raclant la gorge pour dissimuler vaguement son dernier mot- msieurdame ?
-Un héritage de mon frère. D'habitude elle ne brille pas. -Se caressant le visage avec et fermant de nouveau ses yeux dans un sourire de bébé en direction de Sawyer- Peut être que votre auberge recèle plus de magie qu'il n'y parait.

Malkièl levait sa chope en direction de ses lèvres. Il/elle contemplait avec un émerveillement dissimulé et une certaine nostalgie la plume dorée dans son autre main.

Citation :

"AUBERGISTE !!! Envoie ta nouvelle amie à ma table !"

Peut être était ce cri aussi soudain que strident, ou la sensation de sentir la main glacée de Kallyope se faufiler sous son gilet à son insu qui lui/la fit renverser sa cruche de lait sur son bas ventre. Avec une certaine agilité, Kallyope esquiva la gerbe de lait avant de pouvoir satisfaire sa curiosité quant au sexe du/de la client(e).

Il/elle s'excusa, honteux(se), auprès de Sawyer et Kallyope et s'empara d'un chiffon sur le comptoir.

-Non non, laissez madem...-le doute l'agaçait quelque peu- Kallyope se fera un plaisir de s'en charg...-regardant la femme en question comme une bombe à retardement- non, je vais le faire finalement.

Sawyer s'agenouilla à proximité de sa "nouvelle amie" pour lui prendre sa place et s'appliquer à la tâche. Malkièl en profita pour essuyer un reste de lait sur ses vêtements puis s'approcha timidement de la table de Brizza en se frottant l'arrière du crane, souriant pour tenter de cacher, en vain, sa honte en public.

-Vous avez mandé à me voir madame ? -sur son principe à la fois naïf et illogique qu'une femme culottée ne peut qu'être une femme mariée-

Tout en vérifiant frénétiquement si des tâches de lait s'étaient attaquées à son blanc manteau, Malkièl s'installait et déposait sa plume sur la table, oubliant le reste de ses affaires sur le comptoir. Il/elle posait enfin ses mains et ses doigts fins sur la table et redonnait à son dos une posture droite. En croisant le regard de Brizza, une curieuse pensée lui vint à l'esprit, se demandant s'il/elle s'était installé(e) de son plein gré à sa table ou s'il/elle n'avait fait que répondre à un ordre. Il/elle se contenta, comme c'était souvent le cas, de pencher la tête sur le côté, de fermer les paupières et d'esquisser son sourire de bébé devant une situation gênante.

Citation :

Avec une délicatesse et une rapidité surprenante, sa main gauche releva doucement la tête de Malkièl.

- "Point de timidité ou de faux semblant avec moi, cela serait partir du mauvais pas. Ce soir, ni jugement ni véhémence, juste une oreille attentive..."

L'invité(e) manqua de sursauter de manière quasi imperceptible à l'approche soudaine de la main de Brizza, accusant peut être un manque de confiance ou de contacts physiques avec les autres. Mais ne sentant aucune animosité dans ce geste et en cette femme, il/elle la laissa relever son visage, sans même ternir son sourire d'une quelconque grimace. Au bout du compte, il/elle se sentait presque rassuré(e) en sa présence.

-Plaisir de vous rencontrer dame Brizza. -Posant la main sur son coeur et s'inclinant doucement- Je m'appelle Malkièl -dont l'orthographe Malkièlle est tout aussi juste- et vous remercie pour cette invitation. -Il/elle ricanait derrière sa main- Je vous parais donc aussi perdu(e) que je le suis vraiment. A dire vrai, je n'avais encore jamais fréquenté ce genre d'endroits.

Malkièl dérivait discrètement son regard en direction des deux joueurs, entendant Cian exprimer : "Le cavalier mange la reine". Mais un nouveau regard de Xeldysar empli d'animosité à son encontre gomma rapidement son début de sourire, amusé par la probable défaite du jeune homme contre le sage expérimenté.

-En tout cas, reprit Malkièl, il semble que l'aubergiste vous apprécie beaucoup, même si ses cordes vocales grinceraient à l'idée de vous l'avouer. Cet endroit a véritablement quelque chose hm...d'amusant, je ne trouve aucun autre terme plus approprié. Une aura particulière semble émaner de certains, comme une brume de charisme, d'identité vous voyez. Peut être que cette auberge est bâtie sur un vieux cimetière ou sur une zone où les forces telluriques convergent.

Il/elle posa son coude sur la table et appuya sa joue dans la paume de sa main dans une mine sympathique à l'encontre de Brizza. A cet instant, Malkièl semblait émaner d'une bonté, d'une naïveté et d'une pureté infinie dont bien des gens mal intentionnés abuseraient dans le monde extérieur, tant celles ci paraissaient fragiles. C'était en tout cas ce que Brizza pouvait percevoir en guise de réponse à son regard scrutateur, comme un signal inconscient et soudain qui ouvrait à Brizza les portes de son âme en toute confiance.