[Terminé] Sous couvert de la nuit

La nuit enveloppait le monde de ténèbres, gracieuse protection aux regards étrangers.
Le vent soufflait fort, envoyant valdinguer le sable, jouant sans cesse avec lui, le maltraitant tant et plus qu’une véritable tempête avait éclaté.
La morsure du froid engourdissait ses membres, bleuissait ses lèvres et rendait son souffle saccadé.
L’astre lunaire brillait de milles feux, indifférent à la tempête qui sévissait en bas, lui offrant son unique mais bien maigre source de lumière.

Elle était là. Perdue au milieu de nulle part. Elle entendait plus que ne voyait la vie qu’elle côtoyait : le « froutch-froutch » des énormes Ronceboue quand ils se déplaçaient sur le sable, le cri un peu aigu des Frucifer et le « clic-clic » des pinces de ces gros crabes dont elle mangeait toujours le nom. Inutile de dire que le coin était dangereux malgré l’heure tardive, les prédateurs étaient en chasse et si elle ne faisait pas attention elle finirait en casse-croûte en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire ‘miam’.

Frissonnant violemment, elle trébucha et roula en contrebas de la dune qu’elle venait de gravir. Un instant elle songea à se laisser aller ici, souhaitant se recouvrir de sable pour grappiller un peu de chaleur et ne plus bouger, mais elle souffla un bon coup et se releva, guettant le moindre bruit alentours en quête de danger immédiat. A moitié rassurée, elle reprit sa marche, maudissant à chaque pas le sable qui se glissait dans ses chaussures et le vent qui le lui envoyait en pleine figure.

Elle souriait néanmoins. Un sourire plus intérieur qu’extérieur, mais un sourire tout de même. Vu l’heure, le temps et le manque de chaleur, il lui semblait improbable qu’une autre personne soit assez folle pour venir s’aventurer ici. Elle allait avoir toutes les plantes qu’elle souhaitait rien que pour elle ! Pour un peu, elle en aurait rit, si elle n’avait craint d’avaler du sable en même temps.

La nuit avança, lentement mais sûrement. Le ciel s’était couvert et le noir alentour semblait plus oppressant que jamais, plus dense. Sans la prudence qu’elle avait nouvellement acquise à force de récoltes nocturnes, elle aurait sans doute hésitée à mettre le nez dehors.

Le vent perdit en intensité alors qu’elle se rapprochait de la falaise. Ses doigts commencèrent à fouiller le sable, déterrant plusieurs plantes et les posant tout à tour délicatement dans son cube. Ne pas foncer dans un Lobnite endormi était sa principale préoccupation, on les confondait facilement avec la paroi rocheuse en pleine nuit. Pourtant, comme à chaque fois, malgré toute la prudence qu’elle devait déployer, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir bien, comme protégée. Ici, elle ne rencontrait jamais d’Asmodien en quête de sang, jamais d’énorme dragon prêt à l’écraser, jamais de Daeva Elyseen en quête d’un défouloir pour déverser sa frustration. Juste le vent qui jouait avec ses cheveux, juste la morsure du sable et du froid sur sa peau, juste le non silence de la nature. Juste elle. Elle et ses pensées.

Elle enlevait le gros du sable des feuilles de la plante nouvellement trouvée quand son sang se glaça. Un cri venait de troubler la paix de ce lieu. Un cri effroyable, dont elle n’aurait su dire s’il venait de la peur ou de la douleur. Mais un cri définitivement humain et proche…

La dune qui lui faisait face lui semblait aussi haute qu'une montagne, et plus difficile à gravir également. Sortie de l'abri de la falaise, le vent avait reprit avec autant de force et de virulence qu'auparavant et il ne l'aidait en rien.

Il n'y avait eu qu'un seul cri aussi clair et puissant, et il lui avait tout juste donné un semblant de direction. Quand elle s'était remise du choc, elle avait de suite bondit sur ses pieds et couru vers ce qu'elle pensait être le bon chemin. Son cube et toute sa récolte était restée sur place, et elle doutait réussir à les retrouver plus tard. Malgré sa bonne volonté et son désir de venir en aide à la personne qui avait crié, elle progressait lentement, trop lentement à ses yeux. Le vent venait de face et l'aveuglait à moitié, piquant son visage du sable qu'il transportait à chaque rafale. Ses pieds s'enfonçaient dans le sable rendant toute course impossible, et cette fichue dune lui bloquait le passage.

Elle était presque au sommet à présent, et si elle aurait volontiers mendié un peu de chaleur en arrivant dans le désert, elle souhaitait maintenant pouvoir retirer la tunique qu'elle avait rajouté par dessus sa tunique habituelle. Elle avait vraiment trop chaud, mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait se permettre une telle folie.
D'ici, elle entendait quelques bruits parfaitement distincts, même si elle ne pouvait encore rien voir. Une respiration bruyante et saccadée, comme quelqu'un qui aurait couru pendant des heures et des heures dans le froid. Quelques gémissements, douloureux, plaintifs. Et le "froutch-froutch" d'un Ronceboue qui lui fit serrer les dents.

Le tableau qui se déroula sous ses yeux quand elle arriva au sommet fut exactement comme elle l'avait entendu. L'énorme masse pleine de tentacules se dirigeait lentement mais sûrement vers une silhouette qui venait de s'effondrer au sol, apparemment à bout de forces. Les nuages empêchaient toute clarté, et donc tout moyen de distinguer son visage, ou d'éventuelles blessures, mais elle pouvait presque sentir le sang d'ici, l'imaginer tâchant de rouge les grains si blancs du sable. Elle pouvait imaginer ses yeux remplis d'effrois et de douleur alors que la mort s'avançait inexorablement. Elle pouvait imaginer la peur qui lui glaçait les entrailles et l'empêchait de se relever...

Le vent était trop fort pour que ses flèches parviennent jusqu'au monstre et elle était trop loin encore pour intervenir directement au corps à corps, mais elle n'abandonnerait pas. Un pas après l'autre, elle se rapprochait, tenant déjà ses dagues bien sagement au creux de ses mains.
Elle cria quand il arriva à hauteur de la frêle silhouette, tentative vaine pour détourner son attention et l'attirer vers elle. Elle retint un autre cri quand il fut trop tard pour la sauver.

Son pied buta contre un fossile mal enfoui et elle roula au bas de la dune, loin du Ronceboue et de sa victime. Loin des yeux plein d'espoirs qu'elle avait eu le temps d'entrevoir lors d'un trop bref rayon de lune. Loin du gargouillis étranglé qu'elle avait produit quand son corps avait été transpercé...
La jeune rôdeuse dégringola comme une poupée de chiffon, ne ressentant pas les écorchures qu'elle écopait dans sa chute, ni ses dents qui mordaient férocement sa lèvre inférieure, ni sa tête qui tapait contre un énième fossile. Juste la culpabilité de n'avoir pu arriver à temps, de n'avoir été d'aucun secours. Si elle avait continué son entrainement, aurait-elle pu la sauver ? Certainement... Elle aurait du continuer à s'entrainer au lieu de courir gambader dans les bois, se rapper les mains à l'atelier ou encore manger des glaces...
Les larmes coulaient librement sur ses joues, collant le sable encore plus sur son visage. Elle avait vu nombre de morts pourtant. Elle avait elle même donné la mort à plusieurs reprises. Mais jamais encore elle ne s'était sentie aussi impuissante et démunie. Jamais elle ne s'était sentie aussi coupable d'une mort que celle ci...

L'aube se levait quand son attention se focalisa de nouveau sur la douleur corporelle, et elle eut tout juste le réflexe d'activer le parchemin de secours qu'elle portait en permanence sur elle avant de sombrer dans l'inconscience.

La récolte d’Ether était décevante. Bien trop de monde aujourd’hui. A tel point que le petit plat du rocher gigantesque qui surplombe la citadelle de Heiron, était presque couvert de Daevas à la recherche d’Ether. En fait, il devait y avoir 5 ou 6 personnes, mais cela était suffisant pour donner à la Clerc l’impression de surpopulation. S’en était … épuisant, obligée de foncer tête baissée sur le moindre Crystal qui montrait le bout de son nez, y compris si la fatigue du vol rendait dangereux celui-ci. Il fallait prendre d’énormes risques, sinon la récolte serait complètement nulle.

C’est ce qui explique que la Clerc était perdu dans ses pensées, lasse de devoir toujours lutter pour la moindre gemme. Se faisant, ses sens et son esprit étaient à l’écoute de tout son environnement, puisque sa concentration se détournait presque par réflexe de son but premier, l’Ether. C’est ainsi, le nez en l’air, observant le ciel et les nuages, qu’elle entendit au loin un brouhaha de foule. Quelques cris, de l’agitation, quelque chose devait se passer en bas. Il n’était plus si rare depuis peu, de voir des Asmodiens enragés venir défier la garde de la citadelle.

Lasse et presque dégoutée de cette récolte compliquée, Haven se laisse porter par sa curiosité et décide finalement de redescendre voir ce qui pouvait bien se passer. Elle se jette dans le vide, fixant le sol intensément. C’était bien plus excitant ainsi, et en plus cela l’entrainait à la maitrise de ses ailes. A quelques mètres à peine du sol qui montait maintenant vers elle à grande vitesse, elle les déploies d’un coup. Le choc est rude, mais au regard du nombre de fois que cette technique lui avait sauvé la vie, la douleur engendrée était presque anecdotique. Et puis même si elle refusait encore de se l’avouer, cette chute était excitante.

Haven se laisse alors planer nonchalamment, pour atterrir en douceur non loin de l’attroupement. Bon sang que de monde. Du fait de sa petite taille, et de l’attroupement qui entourait l’objet de sa curiosité, elle n’y voyait rien du tout !! C’était bien la peine de s’être déplacée. Enfin … Finalement, en écoutant simplement les commentaires, elle fini par comprendre que devait se trouver là une personne blessée. Ce n’est que quand un homme cria plus fort que les autres qu’elle réagie enfin.

« Bon sang, il n’y a pas d’adeptes de Usthiel ici ? » Cria une voix rauque.

A cet instant Haven sort de sa torpeur, plus par réflexe qu’autre chose. Certains mots ou certaines visions déclenchaient en elle se reflexe de vie. La vue d’une blessure, de quelqu’un de fatigué, ou les simples mots Usthiel ou Soins. Elle décide alors d’intervenir rapidement, et pour se frayer un chemin à travers la foule, n’hésite pas à légèrement bousculer quelques curieux.

« Pardon, … pardon excusez-moi, …. Pardon je suis Clerc, laissez moi passer, … pardon … »

Finalement, au bout de quelques efforts, elle fini par arriver en vue de la « Victime » présumée. Sans prêter attention à la personne couchée sur le sol, elle commence par faire reculer la foule bien trop agglutinée sur le pauvre blessé. Une fois l’air respirable autour d’eux, elle se concentre enfin sur l’objet de ses futurs soins.

« PAR AION … LEIJI !! »

Le cri était sorti du cœur. Haven reste là, interloquée quelques secondes. Elle s’attendait à tout mais là, devant elle, gisait une de ses amies les plus chères, et qui plus es, une Atreide. C’était étonnant comme soigner des étrangers était simple et plus un reflexe qu’un travail, alors que quand il s’agit de proches, tout devient si compliqué. La stupeur passée, Haven se jette littéralement sur son amie pour évaluer la gravité de la situation. La stupeur ne laisse pas place à la panique, bien au contraire, c’est avec une froideur presque calculatrice que Haven se met en devoir d’inspecter son amie. L’échec n’était même pas envisageable.

Un rapide tour du corps étendu là, inerte, la rassure. Les blessures ne sont pas si profondes, et c’est l’épuisement de son amie qui est plus responsable de son état que la gravité de ses blessures.

« Ne t’inquiète pas Leiji, je vais prendre soin de toi, tout vas bien aller »

Elle avait susurré les paroles à l’oreille de son amie d’une voix douce. Passant tendrement sa main sur son front. Un reflexe de mère, bien au-delà de la simple volonté de soigner, mais Leiji n’était pas n’importe qui à ses yeux. Elle savait combien parfois un simple contact humain pouvais, même inconsciemment, redonner force et courage.

« Ecartez vous … laissez moi passer »

Le ton n’était pas agressif, mais la visible amitié qui unissait les deux femmes suffit à faire écarter la foule pour leur laisser le passage. Haven avait délicatement pris Leiji dans ses bras, au prix d’un bel effort. Une fraction de seconde, la Clerc se dit que Shairya était décidément bien plus facile à porter. Elle en aurait sourit si la situation n’était pas si … triste. Elle se dirige alors vers la maison la plus proche, peinant visiblement a porter sa charge, et maudissant de n’être pas plus forte physiquement. Falkhen n’aurait eu aucun mal lui à porter Leiji à l’abri des curieux. Mais elle …

Finalement, elle la pose enfin, sur une paillasse à peine plus confortable que le sol, mais abritée dans la maison et propre. Puis elle se met à passer ses mains partout au dessus du corps, baignant celui-ci d’une lumière verdâtre, témoin de l’Ether qui transitait alors des mains vers les blessures. Il ne fallu que quelques minutes pour que toutes les blessures soient résorbées. Elle ne le voyait pas sous les vêtements mais … les rares traces apparentes avaient disparues. Leiji ne risquait plus rien désormais. Un soupir de soulagement s’échappe alors de la bouche de la Clerc.

« Te voilà hors de danger ... repose toi mon amie » dit elle dans un murmure.

Il ne restait plus qu’à attendre que la rodeuse se réveille. Alors elle s’allonge à ses cotés sur la paillasse, ferme les yeux rassurée, et sombre elle aussi dans un sommeil réparateur, nécessaire après ses déboires de récolte, et sa peur d’avoir vue son amie dans cet état. Les deux femmes dorment à poings fermés, ne prêtant pas attention au brouhaha ambiant de la ville.

Il faisait nuit, et pour une fois, c’était une nuit calme. Le ciel était dégagé, chose rare, et y luisait multitudes d’étoiles brillant toutes de milles feux. C’était magnifique, magique. Au loin, on arrivait même à distinguer la Tour, se dressant fièrement vers le ciel, pic de lumière à travers les ombres.

Le vent ne soufflait pas et les grains de sable si déchainés d’ordinaire semblaient comme mort à ses pieds. C’était néanmoins réconfortant, chaleureux, et elle en profita pour envoyer ses bottes au loin, préférant sentir sous ses pieds nus la chaleur du désert. Sa tunique tomba également mollement dans son dos, sans bruit, la laissant uniquement recouverte d’une chemisette d’été en Sobi. Ses bras nus s’écartèrent naturellement quand une légère bise traversa le désert, l’enveloppant doucement dans un cocon de chaleur. Elle ferma les yeux, elle se sentait bien.

Aussi légère qu’une plume, elle se mit à courir, laissant ses empreintes de pas clairement inscrites dans le sable, riant librement. Le désert était à elle, c’était son terrain de jeu, et elle se sentait euphorique, avait envie de s’amuser, de rire et de voler. Grimper la petite dune fut un jeu d’enfant, et bien que la vue de ce désert dormant et scintillant soit éblouissante, elle préféra se jeter dans le vide, planant librement au dessus de celui-ci. Elle ferma de nouveau les yeux, appréciant pleinement la sensation de l’air dans ses plumes, de la chaleur de la nuit sur sa peau et de cette odeur enivrante.

Un cri fusa, brisant le silence et la magie de ce moment et elle perdit sa concentration. Elle s’effondra mollement au pied d’une autre dune. Un cri de nouveau, là, juste en haut. Elle n’avait qu’à gravir cette petite dune ridicule pour découvrir ce qu’il se passait et sans doute porter secours à une âme en détresse.
Elle s’élança, mais elle se sentait subitement lourde, peinant à mettre un pied devant l’autre. Le sable s’enfonçait de trop sous ses pas et la pente lui parut soudain plus abrupte. Elle trébuchait, glissait, et son ascension n’en finissait pas, comme si le vent qui venait de se réveiller, furieux, prenait plaisir à rendre cette dune de plus en plus haute.
Elle se sentait glacée et elle se demanda un instant si elle n’avait pas tout bonnement halluciné la précédente chaleur et le calme environnant. Un nouveau cri fusa, teinté d’une douleur et d’une peur à peine contenue. Ses entrailles se glacèrent, mais elle poursuivit ses efforts, presque mécaniquement.

Elle était là, elle y arrivait. Déjà elle voyait une silhouette sombre se détacher dans la nuit, aux pieds d’un énorme Ronceboue qui semblait rire. La proie lui jetait un regard empli d’espoir et elle lui souriait, certaine qu’elle pourrait l’aider.
La panique la saisit, écrasant son cœur de sa poigne glacée alors qu’elle se rendait compte qu’elle n’avait ni son arc ni ses dagues sur elle. Elle resta complètement figée, se sentant soudainement spectatrice à ce qui se déroulait sous ses yeux. C’était fini, elle n’avait rien pu faire. Elle n’avait rien fait.

Le Ronceboue avait disparu à présent, ne restait plus qu’elle et la victime, victime qui se relevait comme si elle n’avait rien, comme si les blessures qui lui mangeaient la moitié du corps n’existaient pas. Elle s’était relevée, et elle se dirigeait vers elle, d’un pas calme mais certain. Et elle, elle ne pouvait que regarder, incapable de faire le moindre mouvement, incapable d’émettre ne serait-ce que le moindre son. Elle était terrifiée. Cela du se voir dans son regard puisque la victime lui sourit, mais loin, bien loin de son sourire invitant, rempli d’espoir. La victime lui souriait d’un sourire cruel, méchant. Comme une âme en peine qui réclame vengeance.
« C’est de ta faute ! Incapable ! Maladroite ! Ta faute ! »
Les mots lui blessaient le cœur et faisaient couler les larmes. Elle aurait tant aimé pouvoir lui dire que non, qu’elle avait fait tout ce qu’elle avait pu et qu’elle aurait tout donné pour la sauver, mais elle ne réussit qu’à produire un misérable gargouillis.
Le son qu’elle poussa ensuite fut un cri étranglé par le sang qui lui coulait au coin des lèvres, tandis qu’elle baissait les yeux sur l’énorme tentacule transperçant son ventre. Elle sentit ensuite qu’on la poussait dans le vide, tandis que des mots clamant vengeance bourdonnaient dans ses oreilles. Elle était coupable, coupable, oh, si coupable…

Leiji se redressa en sursaut sur la paillasse, incapable de prononcer le moindre mot, tremblante comme une feuille et couverte de sueur. Le vacarme dehors n’arrivait pas à percer les mots qu’elle ne cessait d’entendre encore et encore dans sa tête, vestige de son rêve, et si elle nota une présence à ses côtés, elle ne parvint pas à l’identifier, se sentant étrangement indifférente. Il lui fallu toute sa volonté pour parvenir à étouffer le sanglot coincé dans sa gorge et passer une main tremblante sur ses joues trempées.

Elle dormait, mais en même temps elle était à l’affut. A l’affut du moindre mouvement qui pourrait la rassurer sur l’état de santé de son amie. Aussi il ne lui faut pas longtemps pour comprendre qu’il se passe quelque chose. A peine un souffle, un bruissement, mais cela suffit. Quelques secondes plus tard, bien éveillée, elle regarde la rodeuse, assise et en sueur, visiblement un peu perdue. Elle ne l’a à priori pas remarqué, signe qu’il n’allait pas falloir la brusquer. Et pourtant, Haven, inquiète, brulait d’impatience de savoir ce qui pouvait bien mettre son amie dans un tel état.

Alors sans trop bouger, d’une voix douce et faible, elle tente un premier contact.

« Leiji, c’est Haven, … tu ne te sent pas bien ? »

Elle sursauta, bien qu'elle n'aurait pas du et essaya d'enregistrer les paroles qui venaient d'être dites. Haven était là, juste à côté d'elle, et semblait inquiète à son sujet.
De nouveau, elle se passa une main tremblante sur le visage essayant de se reprendre. Ce n'était qu'un cauchemar, un simple cauchemar ! Pourquoi ça l'affectait autant ? Énervée contre elle-même, elle s'obligea à fermer les yeux et à prendre de grandes inspirations pour se calmer. Il était inutile qu'elle se donne plus en spectacle.

Son contrôle de soit relativement retrouvé, elle se tourna vers son amie et grimaça un sourire.
" Ça va, désolée, rien qu'un mauvais rêve. "
Elle aurait bien aimé que ça ne soit que ça effectivement et qu'elle n'ait pas échoué. Un nouveau tremblement la parcouru, et elle serra les dents. Craquer était une chose, mais le faire devant quelqu'un d'autre en était une autre et elle se sentait suffisamment honteuse comme ça.

Inclinant quelque peu la tête, elle se surprit à regarder son amie. Un instant, elle imagina que c'était elle qui avait été la victime et l'illusion lui coupa le souffle. Oui, n'importe lequel de ses amis aurait pu être en danger ce soir là, et elle n'aurait pas été capable de leur venir en aide. Rongée par la culpabilité, elle s'obligea une nouvelle fois à retrouver un semblant de calme, chose plus facile à dire qu'à faire tant elle se sentait misérable et fourbue.

" Tu vas bien toi ? Qu'est ce que tu fais là ? Et... " Un regard circulaire de la pièce lui apprit que le lieu lui était définitivement inconnu. Elle se souvenait vaguement avoir activé son parchemin de secours puis s'être réveillée ici. Était-ce Haven qui l'avait retrouvée ? " Hum, on est où ? " demanda t-elle finalement, reportant son attention sur son amie. Rester concentrée, ne pas y penser, rester concentrée... Tout pour effacer les images qui menaçaient de revenir la hanter.

« Dans la citadelle de Heiron »

Elle répond plus par reflexe qu’autre chose, bouche bée, mais … la question lui fait comprendre que tout ne vas pas bien. Sur le coup, milles questions affluent dans son esprit, comprenant que Leiji avait subie un choc, tout au moins qu’il avait dû se passer quelque chose, elle a une soudaine envie de lui poser ces milles questions. Pourquoi c’était elle retrouvée inanimée ici, à Heiron, pourquoi inanimée tout simplement, pourquoi ces tremblements cachés avec peine. Quelque chose de grave avait dû arriver et elle voulait sincèrement aider son amie.

« Je ne sais pas trop … je suis descendue de la haut après ma récolte d’Ether et … tu étais là inconsciente»

Un Flash avait traversé son esprit juste avant de parler, et elle avait décidé de se taire. Une image, l’image d’une jeune rodeuse, suspendue à une fenêtre, sa fenêtre, et elle, étendue au sol, soufrant plus d’échec moral que de douleurs physiques. Ainsi elle avait fait le parallèle. Elle se retrouvait dans la position de Shairya à l’époque, voulant aider une amie proche, mais ne sachant que faire. A cet instant elle comprit qu’elle ressentait ce que la pauvre Shairya avait du ressentir. Maintenant qu’elle savait, elle se disait qu’il faudra qu’elle lui parle.

« Je … je crois que certaines douleurs ne se soignent pas »

Dit-elle alors dans un semi sourire, se voulant rassurante. Et elle ajoute un peu tristement.

« Tout serait si simple si nous avions la force de sauver le monde entier »

Elle Fixe Leiji un instant dans les yeux, puis la gratifie d’un énorme sourire. Après tout, l’important était que son amie soit en vie, le reste …

« Je suis contente que tu soit entière !! »
« En te voyant inconsciente, j’ai eu très peur »

Cette fois son sourire était franc et sincère, après tout, c’était ca la vie, prendre le meilleur et lutter contre le reste. Aujourd’hui son amie est en vie, c’était l’important.

« On vas manger une glace à l’auberge ? »

Un instant, elle imagina la scène, voyant parfaitement Haven fendre le ciel à la recherche de vortex égarés. Elle imaginait également qu'il avait du se passer quelque chose pour qu'elle descende de l'immense rocher qui leur servait d'appui... La vue avait beau être imprenable et magnifique, on ne voyait pas vraiment ce qu'il se passait au centre de la citadelle. A moins de descendre assez bas c'était évident, mais peu courant lorsque l'on était tout en haut du rocher. Elle imaginait également qu'elle avait du la voir inconsciente, probablement blessée aussi, et sans aucun doute pleine de sable. Un rapide coup d'œil sur ses vêtements lui apprit qu'elle était encore toute crasseuse et elle ne put s'empêcher de grimacer. Affalée en plein milieu de la citadelle dans cet état là... elle avait du bien l'inquiéter oui...

" Je suis désolée " murmura t-elle, hésitant entre baisser les yeux ou confronter son regard. Et elle était désolée oui, pour avoir fait peur à son amie, mais aussi pour ce qu'il s'était passé. Et Haven comprendrait, elle en était sûre. Après tout, elles partageaient le même goût de l'aventure et du risque et en tant que Clerc elle devait détenir une certaine empathie... Quoi qu'il en soit, ce qu'elle voyait à présent dans son regard ainsi que les paroles qu'elle avait prononcé lui portait à croire qu'elle savait oui. Peut-être n'était-ce pas plus mal que quelqu'un soit au courant. Elle hocha la tête, à moitié soulagée mais toujours le cœur lourd et les mains tremblantes. Il lui faudrait du temps pour admettre qu'on ne pouvait effectivement sauver tout le monde. C'était quelque chose qu'elle savait évidemment, elle avait été mercenaire après tout mais... C'en était une autre de l'accepter quand on aurait pu s'en donner les moyens. Du temps oui, il faudrait du temps. En attendant...

" Une glace ? May déteindrait-elle sur toi ? " Sa tentative d'humour sonnait faux mais elle songea que c'était tout de même mieux que rien. Pouvait-elle par contre vraiment se permettre d'aller manger une glace ? Surtout quand elle s'était maudite d'avoir passé tant de temps à ne pas s'entrainer ? Ne devait-elle pas plutôt récupérer son arc et foncer à la salle d'entrainement ? Elle blêmit soudainement : si elle pensait bien avoir perdu ses dagues elle ne se souvenait plus au contraire ce qu'il était advenu de son arc. D'un bond elle fut sur pieds, ignorant la sensation de vertige qui la saisit aussitôt et fouilla la pièce des yeux.
" Mon arc... Ou est-il.. Tu l'as retrouvé ? "
C'était une pièce qu'elle avait eu du mal à fabriquer et elle en était fière. Elle pouvait toujours s'en refaire un, mais ça n'était jamais pareil et elle s'était habituée à celui là malgré tout.

« Tiens il est ici » dit elle en se tournant sur son autre coté.

Elle sait très bien la valeur des choses, ne serais ce que parce que elle aussi en fabrique. Alors elle sait aussi l’attachement que l’on peut avoir vis-à-vis d’une de ses créations. Aussi s’est elle empressée, à la requête de Leiji, de soulever une couverture posée à coté d’elle. Puis de prendre une voix rassurante, emprunt d’un brin de gêne.

« Je … je me suis permise de le nettoyer un peu, il y avait des traces et … enfin le voilà »

Elle lui tend la couverture roulée dans des gestes calmes et précis. Comme pour ne pas risquer d’abimer la création. Le respect des gens et surtout de la vie était la base de sa croyance, mais le respect des choses n’était pas en reste.

La veille, après avoir amené son amie à l’abri dans cette petite maison, et à peine installées, un homme, un humain, était venu lui rapporter l’arc qui était resté au sol. Dans la panique, la Clerc n’avait pas remarqué celui-ci non loin de Leiji, se confondant presque avec le sol. L’homme avait demandé presque timidement s’il pouvait déranger les Daevas. En fait pour ramener cet arc qui ne semblait pas ordinaire. Haven en avait été stupéfaite, mais si heureuse de tant d’honnêteté. Et même lorsqu’elle lui proposa 10 000 Kinah pour l’arc, il refusa. Cet arc en valait pourtant à coup sur 20 fois plus, au moins. Mais la Clerc, ayant été mère, n’était pas sans arguments, et c’est dans un immense sourire plein de reconnaissance qu’elle toucha la corde sensible en parlant des enfants. L’homme fini par accepter les Kinahs, promettant par AION qu’il les lui rendrait pièce pour pièce. Il était inutile d’insister elle le savait bien. Alors elle ne pût que le remercier encore une fois, non sans l’avoir invité à la taverne, priant déjà AION que celui-ci vienne un jour. Ce n’est qu’une fois celui-ci reparti, qu’elle se rendit compte qu’elle ne connaissait même pas son nom. Mais elle faisait confiance à AION pour cela, lui saurait guider les pas de l’homme.

Mais pour le moment, elle examinait l’arc. Sous la poussière et la crasse, cet arc semblait vraiment de belle facture. Elle s’était mise alors en tête de le nettoyer un peu, puis complètement. Y apportant tout le soin nécessaire pour ne pas risquer de le rayer ou de le marquer maladroitement. Finalement, après quelques très longues minutes, presque une heure entière, elle avait fini. Elle oublia les traces suspectes retirées, après tout, c’était une arme. Elle le fît alors bouger dans la lumière de la lune, les reflets d’or et de bois travaillé lui donnant des allures surnaturelles. Nul doute que Leiji était une artisane hors paire. Cet Arc était vraiment un chef d’œuvre. Aussi, décida t’elle finalement de le protéger dans une toile de Ruko bien solide, afin qu’il ne s’abime pas ni ne prenne la poussière.

Pour autant, elle s’était permise de manipuler, et même de frotter une arme qui ne lui appartenait pas, et elle espérait que son amie ne lui en veuille pas trop. C’était un peu comme se mêler des affaires des autres, mais elle l’avait fait avec amour, et elle espérait que son amie ne le prendrait pas mal. Tous ces souvenirs de la nuit passée étaient remontés en elle, alors qu’elle tendait l'objet, toujours protégée dans la toile, son regard de terre fixé dans celui de la rodeuse, tentant de savoir …

" Merci... "

Un faible sourire illumina son visage tandis qu'elle attrapait d'une main sûre son arc et le sortait avec précaution de sa prison de tissu. Son arc à elle, qu'elle avait passé tant de temps à fabriquer. Elle se souvenait avoir passé du temps à Théobomos, à ramasser du Koa, puis à Eltnen pour dénicher de l'or de bonne qualité. Elle se souvenait avoir pressé son ami Fehed de lui trouver les flux qui iraient bien pour sa création, avant de l'aider en achetant directement au négociant. Elle se souvenait également qu'à l'époque les Kinahs étaient plus rares et que chaque flux lui semblait hors de prix. Depuis, elle avait revu son estimation, les flux n'étaient en fait pas si chers que ça. Et puis elle s'était rendue à l'atelier, façonnant le bois le mieux qu'elle le pouvait, encore et encore, jusqu'à parvenir à l'arc tant désiré qu'elle avait en tête. Ça lui avait pris du temps pour être satisfaite mais elle n'avait jamais été aussi fière d'une arme que de celle-ci.

Haven lui avait dit qu'elle l'avait nettoyé. Examinant attentivement son arme, elle pu voir qu'elle avait vraiment fait du bon travail et qu'elle en avait pris grand soin. Elle n'était pas du genre à laisser son arme tâchée, ça allait à l'encontre des principes qu'on lui avait appris, mais elle avait quelque peu négligé cet aspect des choses récemment, tout comme elle avait négligé son entrainement.

Soupirant, elle accrocha de nouveau son regard à celui de son amie.
" Merci d'en avoir pris soin, mais ça aurait du être mon travail et je n'aurai jamais du la laisser dans cet état... "
Il n'y avait nul reproche dans sa voix, juste une pointe de remord et encore une fois de culpabilité.
" Je suis contente que tu l'aies retrouvé en tous cas. Même si je m'en sers peu en ce moment, j'y tiens beaucoup. "

Elle serra fort le poing autour de l'arme, se promettant d'y remédier rapidement. En attendant, elle n'avait pas le droit de laisser tomber ses amis.

" Tu avais parlé d'une glace ? "

Haven comprenait oh combien son amie. Se sentiment d’avoir failli en quelque chose. D’être responsable de ne pas savoir tout, de ne pas savoir régler tout. Elle connaissait se sentiment par cœur, et à cet instant, elle pouvait le lire dans le regard de son amie.

Elle était soulagée, Leiji n’avais pas pris ombrage de son nettoyage de l’arc. Elle comprit bien que Leiji hésitait entre être reconnaissante de l’aide, et lui en vouloir de pointer du doigt quelque chose qu’elle aurait dû faire elle-même. Pourtant, entre les deux femmes, dans le flux de se regard sincère et presque viril qu’elle s’échange, une aura bienfaisante apaise les esprits, et transmet une douce chaleur, l’amitié sincère. Celle-ci transformait tous les doutes en certitudes, tous les reproches en compliments, toutes les rancœurs en sollicitudes. Elle en avait le pouvoir.

Leiji est fière et dure avec elle-même, en cela les deux femmes se ressemblent un peu. Mais elle sait aussi quand travailler en équipe. Quand l’amitié ne laisse plus de place au superflu, alors rien ne peux séparer les âmes. Et Haven sentait cette aura à cet instant précis, celle qui rend les cœurs solides et les âmes fidèles. Finalement, les mots n’étaient plus nécessaires, les regards suffisaient. Puis vînt le signal … celui qui donne un sens aux choses.

« Tu parle que j’ai parlé d’une glace !, et avec un peu de chance, on va tout manger avant que Maylanee ne rentre »

La Clerc éclate de rire, le rire qui libère de tout, celui qui se donne sans compter.

Mettre son arc à sa place, ficelé dans son dos, ne lui prit qu'une minute. La force de l'habitude... Même si elle avait cruellement négligé son entrainement, avoir son arc à portée de main lui semblait tellement rassurant, comme s'il avait le pouvoir de chasser tous les dangers qui pourraient survenir... Ce n'était hélas pas vrai et une nouvelle boule se forma dans sa gorge.

Secouant la tête pour s'éclaircir les idées, elle n'en pensa pas moins que porter son arc la rassurait, et la terrifiait en même temps. Si son maître d'armes la voyait, il l'enverrait sur le champ sur le terrain d'entrainement avec une bonne taloche ! Elle sourit, heureuse de constater que si rien n'avait été facile, elle en gardait quelques bons souvenirs, qu'elle pouvait à présent nettement ressentir. Oui, il avait tenu à elle, à sa façon, et quand elle ne se reprocherait plus ses fautes, elle irait le remercier.

Le cœur un peu plus léger, elle observa Haven qui riait toujours à gorge déployée. Son rire dut être communicatif, puisqu'elle se sentit sourire, légèrement au début, puis de plus en plus, avant de se joindre à son amie. Ce n'était pas un rire vraiment joyeux, mais pas un rire forcé non plus. C'était juste un rire, et il rajouta un peu de baume à son cœur. Non, elle ne pourrait pas les abandonner, même si c'était la solution la plus logique. Elle trouverait autre chose et obtiendrait son objectif tout en conservant sa vie actuelle.

" Honnêtement, penses-tu pouvoir finir une glace sans que May n'arrive ? J'aurai plutôt tendance à dire que ça l'attirerait ! "

Elle sourit doucement, imaginant nettement son amie débouler dans l'auberge, à bout de souffle, pour se jeter sur une coupe de glace. Elle pouffa de nouveau et se dirigea vers la sortie.

" Enfin, je relève le défi ! "

Oui, elle allait occulter cet... incident de sa tête le temps d'une bonne glace. Elle aurait tout le temps plus tard pour se laisser aller, dans l'intimité.

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