Journal de rapport

C'était confus dans sa tête et elle savait qu'elle n'avait pas encore assimilé la nouvelle. Ça avait été elle finalement cette dame lui ressemblant comme deux gouttes d'eau. Ça avait été elle finalement qui connaissait toutes ces choses, quoi de plus naturel hein ? Elle aurait du être ravie, profondément ravie de la retrouver. Elle aurait du lui sauter au cou, lui dire combien ça avait été dur de la perdre et qu'elle était tellement contente de voir qu'elle allait bien, qu'elle était de retour. Elle aurait aimé croire que tout allait pouvoir de nouveau être comme avant en fait, quand leur amitié était relativement simple et coulait de source. Elle aurait aimé oui.

Mais ces mots, ce comportement...

Sa main se leva, tremblante, attrapa une flèche et tendit son arc au possible. Elle s'exhorta au calme avant de la laisser filer en direction de la cible, la manquant de dix bons centimètres. Elle soupira et laissa tomber son arme au sol, hésitant entre se sentir dépitée ou encore plus en colère qu'elle ne l'était déjà. Elle avait envie de courir, de sauter, de taper, fort, tellement fort, de se battre jusqu'à en avoir mal partout, jusqu'à ne plus pouvoir se relever. Oh oui, elle avait tellement envie de laisser échapper toute cette colère, cette frustration et cette douleur... mais où ? Comment ? Contre qui ? Sa chambre était encore dévastée par sa précédente crise et elle doutait que ça arrive à la calmer suffisamment cette fois.. Ha elle aurait aimé avoir un Falkhen sous le coude...

De rage, elle lança de toutes ses forces la dernière dague lui restant qui alla se ficher profondément dans l'arbre le plus proche. Ce n'était pas suffisant, mais c'était toujours ça de pris. Dans sa tête, elle entendait encore les mots comme si la scène était en train de se rejouer devant ses yeux. Une scène déformée, avec des mots n'étant plus tout à fait les mêmes tellement elle se les était répétés. Le sens quant à lui était encore tellement le même...
" C'est frustrant de voir ses proches et qu'ils ne puissent ni vous voir ni vous entendre... "
Elle se souvenait encore avoir pâli plus que de raison à cette phrase, priant Aion pour qu'elle n'ai pas été témoin de son manque de contrôle flagrant. Craquer était une chose, le faire devant d'autres personnes en était une autre. Elle n'avait cependant pas eu le temps d'entrevoir tout ce que son... amie ? avait pu être témoin qu'elle enchainait déjà.
" Mais ça n'a pas de prix de savoir pour qui tu comptes vraiment, de voir comment les problèmes se règlent ou s'enveniment encore plus... "
Elle lui avait sourit à ce moment là, mais elle avait serré les dents, s'efforçant au mieux de ne pas laisser paraitre un air blessé.

Ça avait fait mal de s'entendre dire qu'elle était sa meilleure amie et qu'elle n'ait même pas jugé bon de venir lui dire que ça n'allait pas bien avant d'en finir. Ça avait fait mal de savoir que des personnes avaient travaillé à la faire revenir et que personne n'ait cru bon de l'en informer alors que sa peine était tellement évidente... Mais ça avait fait encore plus mal de se rendre compte que son.. amie ? avait vécu ça comme une sorte d'expérience, un bon moyen d'explorer la mort et de voir qui tenait réellement à elle sans se soucier du mal que ça pouvait causer. A ce moment là, elle s'était sentie trahie, comme si ses propres sentiments n'avait pas eu la moindre importance du tout...

Et elle revenait, lui balançait tout cela à la figure en lui disant qu'elle était désolée d'avoir merdé et puis voilà ?

Ses yeux se brouillèrent alors qu'elle étouffait un cri, produisant un étrange gargouillis. Elle secoua la tête, fortement, refusant de laisser les larmes couler une nouvelle fois. Elle ne se ferait plus avoir, elle n'accorderait plus sa confiance de la sorte à quiconque, et si elle n'avait pas eu tord de s'ouvrir plus aux sentiments et aux autres, ça avait manifestement été une erreur d'avoir tenu aussi fort à une personne.

Qu'a cela ne tienne, on ne l'y reprendrait plus !

Quand elle était rentrée à la taverne plusieurs heures plus tard, un petit journal l'attendait, soigneusement déposé sur le pas de la porte de sa chambre.

******

Assise sur le rebord de sa fenêtre, elle laissait promener son regard sur les différentes constellations, sur ce monde lointain et interdit. Si les premières fois elle avait réellement prêté attention à ce qu'elle regardait ce n'était désormais plus le cas : ses yeux bougeaient régulièrement, passant d'une étoile à une autre comme par habitude mais sans plus les voir.
Le vent jouait distraitement dans ses cheveux ébouriffés, séchant les quelques larmes qu'elle avait encore laissé échapper durant son sommeil. Falkhen serait sans doute déçu demain matin lorsqu'il verrait qu'elle n'était en rien plus reposée que la veille, mais elle ne pouvait simplement pas retourner se coucher. Qu'importe, ce n'était jamais qu'une autre nuit à regarder les étoiles.

L'air était relativement frais, et elle frissonna violemment une fois de plus alors qu'un souffle entrait dans la petite pièce. Si elle en avait eu le courage, elle serait allée chercher une couverture, ou enfiler quelque chose par dessus sa tunique, mais encore aurait-il fallu qu'elle en ait la volonté. Elle était bien ici dans le froid, comme si cela pouvait engourdir ses pensées tout en la maintenant éveillée. Et engourdie elle l'était normalement, juste suffisamment pour ne plus ressentir l'angoisse et la détresse qui la prenaient à chacun de ses cauchemars. C'était toujours pareil, elle allait se coucher complètement épuisée moralement et physiquement, et se réveillait quelques heures plus tard, le souffle court et couverte de sueur, parfois même en pleurs. Si l'angoisse la rongeait à l'annonce de la mort de May, les cauchemars avaient vraiment débutés quand elle avait appris que ça avait été un acte volontaire.

Ce soir, elle tenait dans sa main le petit journal. La première page était encore là, gribouillée d'encre et de mots, et elle n'avait pas besoin de relire pour savoir que si elle avait voulu rester détachée dans ses phrases elle n'avait su empêcher l'émotion de s'écouler à travers sa main, couchant sur papier ses états d'âme comme une adolescente aurait pu le faire. La pensée lui fit faire une vague grimace mais ne l'empêcha pas de se concentrer sur une nouvelle page vierge : elle avait un besoin de se confier qu'elle ne s'expliquait pas...

	../../.... Malgré sa carapace d'orichalque, Falkhen a un cœur énorme, comme tous les habitants de la taverne. Pour autant, il est, je pense, celui le plus à même de me comprendre, bien que chacun ait une façon de m'épauler, ne serait-ce que par quelques mots attentionnés. Ils sont gentils, vraiment. La journée n'avait pas vraiment bien commencé en fait, l'instructeur m'ayant passé un sermon pour n'être pas passé le voir beaucoup plus tôt et m'envoyant voir un de ses collègues vers la taverne de Dionysia. C'est sur le retour que je les ai croisées : Maylanee, son amie Krytaenne, et une petite fille. Je n'ai pas su résister à la petite quand elle m'a quasi forcée à les suivre pour un chocolat et me suis rapidement retrouvée accoudée au comptoir à jouer avec mon bol sans jamais le toucher. Haven aurait sans doute était contente de me voir échanger quelques mots avec une inconnue dont j'ai déjà oublié le nom et m'occuper un peu de cette petite. C'était rafraichissant dans un sens d'avoir quelque chose à faire, mais relativement oppressant également. Mon malaise a du se voir puisque May a souhaité me parler, réaffirmant qu'elle attendrait le temps qu'il le faudrait pour que l'on puisse redevenir amies comme on l'était et que je ne devais pas me sentir forcée de quoi que ce soit. Peu importe ma décision, je suis obligée de me forcer. Si je souhaite retrouver notre amitié, je dois prendre sur moi et passer outre son suicide et mes sentiments, et si je souhaite m'éloigner d'elle... hé bien, maintenant que je sais qu'elle est de retour, ça serait sans doute tout aussi dur de l'ignorer que de la côtoyer. Dans les deux cas, je sais que je vais souffrir. Falkhen a su me donner un bon conseil après que j'ai eu à lui expliquer rapidement la situation. C'est venu comme ça, sans que je ne m'en sente forcée, et je souhaitais vraiment pouvoir trouver une solution. Je ne crois pas avoir saisi sur le champ ce qu'il me disait, et puis ça a fini par être comme une évidence. J'ai retrouvé May au bord du lac, seule, immobile, presque déprimée peut-être. Je me suis assise, et nous avons discuté, encore. Discuté de combien j'étais désolée d'avoir été égoïste à ce point et de l'avoir laissé gérer toute cette situation toute seule, la blâmant encore plus pour ce qu'elle m'avait forcé à ressentir. Désolée de n'avoir su être là quand elle en avait besoin. Désolée de l'obliger à reconquérir une amitié qu'elle pensait indéfectible. J'ai pris sur moi, ravalé ma rancœur, écouté la petite voix me disant que j'aurai du faire mieux et ai essayé de la rassurer du mieux possible. Ça m'avait manqué, énormément ces moments avec elle. Ça en avait été facile en fait de lui dire ces mots, de la faire passer avant moi... De souffrir pour elle comme dirait Falkhen. Et j'en avais presque oublié ce que je ressentais moi à ce moment. Ça avait été bien. Pourtant... J'aurai du m'y attendre, à ne pas pouvoir dormir encore ce soir. Accepter de suivre ce chemin n'a fait que renforcer mes blâmes et ma culpabilité. Comme si l'imaginer se jeter dans la lave pour y renaitre encore et encore n'était pas assez douloureux et frustrant, il fallait qu'elle vienne me reprocher de n'avoir rien fait pour l'en empêcher, me reprocher de lui en vouloir et d'être en colère et malheureuse, me reprocher d'être une mauvaise amie... Elle mérite sans doute mieux qu'une bo

Une énième rafale de vent la fit frissonner et ses doigts déjà tremblants laissèrent tomber le stylo au sol, le petit carnet le suivant de prêt. Elle ne se pencha pas pour les ramasser et n'y pensa même pas, tournant au contraire son regard vers les étoiles, tentant d'ignorer les larmes sillonnant sur ses joues et ce gouffre de culpabilité qui menaçait de l'engloutir. Écrire n'était pas une solution finalement...

Assise sur le rebord de la fenêtre, elle regardait passer inlassablement les bateaux et les poissons volants de Sanctum, souhaitant pouvoir aller voler librement elle aussi et pouvoir faire le vide dans sa tête.
Avec un soupir, elle regarda Maylanee, profondément endormie dans son lit. Sa mort lui semblait si lointaine qu'elle en avait parfois du mal à croire que si peu de temps s'était finalement écoulé. Elle lui en voulait encore de son geste et de toute cette douleur qu'elle avait provoqué, et il lui arrivait encore de pleurer quand il y pensait de trop... Mais elles avaient discuté, beaucoup, et elle n'avait pu faire autrement que d'accepter qu'elle était bel et bien en vie et que son amitié était plus importante que ses sentiments. Alors elle s'efforçait du mieux possible d'oublier toute la douleur et la peine puisque plus rien n'avait sa place ici, et d'être une bonne amie...

Elle y avait été un peu forcée aussi, quelque part.

Du coin de l'œil, elle essaya de repérer un morceau de papier et un crayon avant de se forcer à regarder de nouveau par la fenêtre. Son carnet était resté à la taverne, et bien qu'elle ne l'admettrait jamais, écrire dedans lui permettait de faire le point dans ses pensées. Elle en aurait bien eu besoin à cet instant, alors qu'elle repensait à cette journée interminable...

Une mission à Poéta somme toute banale. Elle était restée se détendre un peu sur le bord de la cascade de la nymphe, se fichant pas mal de la pluie qui avait fini par la tremper jusqu'aux os et du passage de quelques chasseurs un peu trop aventureux. Elle était restée longtemps le regard dans le vide avec uniquement en tête le son de l'eau et des oiseaux. Et May était venue lui tenir compagnie, comme ça, simplement. Parfois elle se demandait si elle était aussi prévisible que cela pour que l'on arrive à la retrouver aussi facilement, mais alors la question disparaissait, remplacée par le sentiment d'avoir quelqu'un à ses côtés.

Elle ne se souvenait plus de ce dont elles avaient parlé, juste que Psy était apparue aussi, toute vêtue de son armure et de son immense guisarme, tuant froidement la nymphe. Un vieux compte à régler avait-elle dit. Et Leiji avait laissé passé, bien plus concentrée par le fait que May venait de la vouvoyer et de l'appeler "Dame Ashura". Et tout avait été de mal en pire après cela... Psy n'était plus Psy, bien cachée derrière cette personnalité froide et sans cœur de soldat, une personnalité qu'elle même connaissait bien pour avoir été la même, le désir de vengeance et le plaisir du sang en moins.

Une trop grande douleur, un renoncement... Un acte lâche selon elle. Mais le mal était fait, Psy n'était plus, et ça l'avait touché, de se rendre compte qu'elle perdait encore une amie parce qu'elle n'arrivait plus à gérer la douleur... Mais contrairement à May, Psy n'était pas morte, son corps était encore ici, et elle n'allait pas abandonner, peu importe si elle ne recevait que des réponses froides et des menaces de mort. Elle était prête à mourir encore et encore si cela pouvait l'aider à ramener une amie, mais il n'était pas dit qu'elle se laisserait faire sans riposter.

Quand elle était repassé au Manoir, bien après que May et Pyurrot soient parties, bien après sa discussion mouvementée avec Psy sur qui elle était devenue et pourquoi, elle avait cherché ses vieilles affaires d'entrainement. Il fallait qu'elle retrouve la forme, qu'elle affine ses réflexes, se remette au niveau. Elle ne souhaitait pas redevenir la Leiji mercenaire qu'elle était, mais elle savait que certains aspects de son ancienne elle allaient lui être utiles. Elle devait être capable de garder son sang froid et de rester calme alors même que la situation concernait ses amis, elle devait pouvoir se défendre contre quelqu'un à qui elle tenait malgré tout sans sourciller ni craindre de la blesser... Ça allait être dur, mais d'après la confrontation ayant eu lieu quelques heures plus tôt elle savait qu'elle saurait retrouver ces automatismes. Son armure serait peut-être juste de moins bonne qualité puisque le temps pressait désormais.

Elle soupira de nouveau tout en regardant Maylanee qui se retournait dans le lit. La soirée n'avait pas été facile pour elle, savoir que votre centurion ne vous aime pas et n'aurait aucun état d'âme à vous supprimer, en plus d'être d'une force exceptionnelle, l'avait complètement tétanisée. Elle aurait aimé que May ait eu plus de temps pour se faire à cette idée avant de se retrouver confrontée à Ashura de nouveau. Quelque part, ça ne s'était pas aussi mal passé si l'on omettait l'altercation avec Ayalee. C'était une fichue tête de mule qui voulait n'en faire qu'à sa tête quitte à devoir éliminer ceux qui se dresseraient sur son passage, mais dans l'ensemble, non, ça ne s'était pas aussi mal passé que cela... Après tout, elle était encore en vie, après lui avoir crié dessus plusieurs fois et empêché de voir May, c'était positif non ?

Un frisson l'envahit alors et elle sentit la peur lui nouer les entrailles. Elle avait du passer plus d'une fois prêt de la mort dans la journée, lui tenant tête ainsi.. Mais elle ne pouvait juste pas la laisser faire sans rétorquer, ça avait été plus fort qu'elle. Et puis... elle se refusait à montrer sa peur : elle était un ancien soldat, elle ne fuirait pas.

Plus tard, lorsque le soleil serait levé, elle irait reprendre son entrainement...

Le visage fermé, la jeune rôdeuse pénétrait très silencieusement dans l'auberge, ne souhaitant pas se faire repérer par quiconque. Une chance, la salle était vide et elle pu rejoindre ses quartiers sans encombre.
Confinée dans l'intimité de la pièce, ses traits se relâchèrent, et l'air assuré et indifférent qu'elle affichait laissa place à une mine totalement défaite, accentué encore par les immenses cernes violacées. Elle avait plus que jamais besoin de repos.

De gestes précis et sûrs, elle accrocha son arc, brillant de propreté, et son armure toute poisseuse de poussière et de sang. Ses mains tremblèrent à ce constat, son souffle se bloqua quelques instants.

La minute suivante, elle était assise sur le rebord de la fenêtre, son petit carnet dans les mains et écrivait les mots qui lui passaient par la tête d'une main vacillante et rapide. L'écriture pas forcément très soignée en temps normal était presque illisible.

	../../.... Un soldat se doit d'être infaillible à sa mission. Il écoute les ordres, se bat avec toute sa force et sa volonté. Il n'hésite pas, il exécute. Un soldat est une arme à manipuler efficacement. Si l'arme commence à trop agir par elle même, il faut la reforger. Je suis un soldat. J'étais un soldat. Simple soldat dans une troupe louant ses services au plus offrant. J'ai fais mon devoir sans ciller, jamais. Sauf au début sans doute, lors de mon entrainement. J'ai appris à garder le contrôle de moi, à tuer en une seule flèche d'un coup précis. J'ai appris à me glisser dans les ombres, silencieusement. J'ai appris à être agile et rapide, que ce soit sur le sol ou dans les airs. J'ai appris à ne pas me laisser émouvoir lors du combat, à ne pas craindre le sang. Mais pas à l'aimer, pas à le désirer. J'ai peur. Je souhaitais reprendre l'entrainement en douceur pour être de nouveau apte à me défendre en cas de besoin. Je n'avais pas réalisé qu'en souhaitant aider une amie j'allais me retrouver ici, dans cette situation. Je n'avais pas réalisé que je partirai au front, que je tuerai de nouveau de sang froid sans rien ressentir d'autre que cette volonté de parvenir au but et de protéger mes camarades. J'ai peur parce que je ne pensais pas qu'il me serait aussi facile de me glisser de nouveau dans ce rôle. Quelque part, c'est une bonne chose, il n'y a pas de place au sentimentalisme au combat. Je ne veux pas retourner combattre, pas comme ça, pas sous ses ordres. Elles ont aimé ça, j'en suis sûre. Le sang qui coule, les os qui se broient, les muscles qui se déchirent, les corps qui tombent. Je n'en ressens qu'un vague malaise. En changeant et en m'ouvrant aux émotions, je pensais que tout mon entrainement serait à reprendre le jour où je souhaiterai m'enrôler de nouveau, qu'il me serait de nouveau insupportable d'ôter la vie comme l'on claque des doigts. Mais pas du tout, les choses ont été ancrées trop profondément dans mon esprit. Je me réjouis de ne pas être comme elles et de savoir rester détachée lors du combat. Je me réjouis de ne pas en avoir ressentit du plaisir. Mais là, totalement seule, je me dis que je devrai au moins me sentir un peu coupable de ce que j'ai fais. Mais je n'y arrive pas. Je sais que c'était la chose à faire, je le ressens ainsi. Et ça m'effraie, parce que cela veut dire que je ne pourrai jamais oublier et passer outre cette partie de ma vie, je n'en serai jamais capable alors que je pensais au contraire l'avoir définitivement perdue. Et je suis furieuse de la manière dont elles deux gèrent ceci, surtout May. Elle a changé. Un moment elle peut-être impitoyable au combat, le moment d'après s'effondrer de ne pas avoir réussi à secourir ses amis. Un moment elle peut-être l'amie que j'ai toujours connue, douce et pleine de vie, insouciante, et le moment d'après accepter les coups et les mots rabaissant, clamant des mots de guerre et de vengeance. Elle est un peu comme Psy, elle est deux, bien que ça ne soit pas vraiment la même chose. Un moment elle va être froide et menaçante, et l'autre redevenir Psyvess et me suppliant de la tuer parce qu'elle est dangereuse. Quelque part, je suis deux aussi, bien que la différence me semble nettement moins marquée. Malgré mon ouverture aux gens et à mes sentiments, je reste réservée et semble sans doute froide aux yeux des autres. Passer d'une Leiji souriante et à une Leiji combattante ne fait sans doute pas énormément de différence. Ma blessure à l'épaule est douloureuse, mais je n'ose pas aller trouver Haven. J'ai peut-être finalement un peu honte de ce que j'ai fais malgré tout. Quoi qu'il en soit, nous allons y retourner, sans doute demain, et la bataille sera autrement plus dure. J'attends fermement les cauchemars, je ne les craindrai pas ce soir.

La première chose qu'elle ressentit lorsqu'elle s'éveilla fut la douleur dans son torse, suivi de celle, minime, de son épaule lorsqu'elle bougea la main pour la poser sur son ventre. Les guérisseurs et prêtres avaient vraiment fait du bon travail, elle n'en garderait qu'une petite cicatrice, mais la blessure avait tout de même été mauvaise et elle devrait se reposer quelques jours avant d'être de nouveau opérationnelle.

Les yeux fermés, l'attaque de la seconde forteresse se déroula de nouveau sous ses paupières.

Elle était retournée chercher du bois pour la confection d'un arc, décidant que cela ne forcerait pas plus que de raison sur son épaule blessée. C'était un peu douloureux, mais cela ne semblait pas la gêner dans ses mouvements alors tout allait bien.
Elle s'était toutefois rapidement arrêtée, ne se trouvant finalement pas la patience de récolter encore et encore jusqu'à ce que son cube déborde de bois.

A peine était-elle rentrée à Sanctum, avait acheté de nouvelles flèches pour remplumer son carquois que déjà Maylanee et Ashurah étaient là, derrière elle, la prévenant que l'attaque allait avoir lieu. Le ton était donné, ce n'était pas son amie qui était présente devant elle, mais le général de la Lune Sanglante. En conséquence, l'archère se donna un visage et une voix neutre, mesurant ses paroles et ses actes : rester calme, sûr de soit et alerte. Une fois encore, la facilité avec laquelle elle laissait son côté soldat refaire surface l'inquiétait. Elle se souvenait plutôt bien n'avoir pas réussi à le retrouver quand elle était partie s'exiler quelques temps dans le désert, alors pourquoi maintenant ? Mais à l'époque elle était seule à se battre, cette fois elle avait devant elle un général et un centurion...

Une boisson avait été prise au cabaret, pour le côté symbolique apparemment. Elle, elle était restée les bras croisés, adossée contre le mur en attendant que l'on se mette en route pour Reshanta. Elle n'avait pas prévu qu'Ashurah vienne la voir et inspecte ses cernes, preuve de son manque flagrant de sommeil. Elle n'avait pas non plus prévu qu'elle s'inquiète de cet état de fait, à la façon d'un centurion pour un soldat, mais elle s'était inquiétée tout de même. Pour autant, elle, elle se sentait bien. Un peu moins vive peut-être, mais assez pour faire face, elle connaissait ses limites.

Et puis elles étaient parties pour Reshanta, avait écouté la stratégie mise en œuvre pour délivrer les captifs et s'étaient envolées vers la forteresse conquise la veille. Tout s'était relativement bien déroulé, ils avaient pu faire une entrée discrète mais redoutable et ses tirs avaient été plutôt justes et précis dans l'ensemble. Tout avait été plus organisé, moins sauvage et elle avait apprécié ne pas voir le plaisir sur leur visage.

Elles avaient été repérées dans la grande salle par deux tireurs d'élite. Un coup du mercenaire précédent lui avait fait rater sa cible et elle avait été touchée, une flèche dans l'abdomen, l'envoyant rouler au sol. Ashurah avait été salement touchée également, et par miracle elles avaient réussi à éliminer le dernier homme avant qu'elles ne s'écroulent toutes les deux. La prise de la forteresse était un succès, mais les prisonniers recherchés n'avaient pas été trouvés...

Maylanee les avait retrouvées toutes les deux, les avait conduit en lieu sûr et avait sans doute fait appel aux guérisseurs. Elle avait du perdre connaissance à un moment donné puisqu'elle ne se souvenait pas de ce qu'il s'était passé, juste de s'être réveillée avec l'impression de se noyer, et cette douleur insoutenable...
Les prêtres de Sanctum avaient pu faire du meilleur travail mais entre sa fatigue, la bataille et la perte conséquente de sang elle n'avait aspiré qu'à s'endormir.

Elle l'aurait fait, si Ashurah n'était pas venue pour lui demander de parler de ses cauchemars. Elle avait parlé, un peu, restant la plus vague possible, l'écoutant dire qu'elle pouvait aisément s'en débarrasser si elle acceptait de ne pas se sentir coupable de ce qui était arrivé. Mais alors que Psyvess n'était plus et que Maylanee changeait en véritable général, elle ne souhaitait pas oublier ce qui était arrivé, ni ce qu'elle avait pu ressentir. Si son amie s'éloignait, si elles se comportaient toutes les deux comme des soldats, alors elle oublierait, elle arrêterait de ressentir et quelque part se perdrait elle aussi.

Elle cligna des yeux, quelque peu éblouie par la lumière de l'astre. La douleur était diffuse, mais pas insurmontable, et elle ne durerait pas elle le savait. Alors elle s'assit, grognant quand elle ressentit les effets des courbatures dans son corps, avant de noter qu'Ashurah avait disparue. Bien, elle en ferait de même alors, d'autant qu'elle se sentait... reposée, presque. Elle avait sans doute encore une mine affreuse, mais la nuit avait du être calme pour une fois et ça lui avait fait du bien.

Doucement, une main sur son ventre, elle se leva et se dirigea vers le manoir. Hors de question qu'elle ne rentre à la taverne dans cet état, elle se ferait étriper...

Elle revenait d'un footing dans la forêt de Daminu, et si ses muscles protestaient, son esprit n'avait pas été apaisé. Elle était confuse, désolée et blessée. Mais elle l'avait mérité non ?

Rapidement rafraichie à la source d'eau la plus proche, elle était désormais installée sur son lit, le petit carnet entre ses mains. Il devenait vraiment son journal intime et elle se sentit honteuse de ressentir le besoin de l'utiliser. Mais parler n'était pas facile pour elle, et encore moins quand on lui en voulait.

	../../.... Mes blessures ont vraiment bien guéries, il ne reste d'elles qu'une simple cicatrice encore un peu rouge. Voilà un point sur lequel je n'ai plus besoin de m'inquiéter. Les Atréides par contre... c'est une autre histoire. Je n'ai pas voulu les mettre dans la confidence de mes récentes activités, pour ne pas qu'ils s'inquiètent ou mettent eux aussi leur vie en danger en voulant nous accompagner. J'aurai pourtant du savoir que c'était une mauvaise idée et que ça finirait par se savoir... Je ne me souviens pas avoir vu Falkhen aussi en colère qu'hier soir lorsqu'il a appris que j'avais été blessée. Je le comprends, mais ne peux m'empêcher de me sentir agacée aussi. Je suis une bonne combattante, je le sais, et me retrouver blessée lors d'une bataille est un risque dont je suis consciente. Les guérisseurs et prêtres sont là pour nous soigner par la suite, et la prochaine fois je penserai aussi à me lier à un obélisque plus proche pour ne pas craindre de ne pas savoir me relever. Je ne sais plus comment me sentir vis à vis d'eux. Je sais qu'ils s'inquiètent de mon manque de sommeil flagrant, mais dans l'ensemble, la petite chasse avec Shairya s'est bien déroulée sans que le sujet ne soit évoqué plus que de raison. Et je fais des efforts aussi pour aller me coucher plutôt que de veiller toute la nuit. Dans l'ensemble, je me sens plus reposée déjà, et j'espère que cela suffira pour faire disparaitre mes cernes. Et je m'entête à vouloir leur cacher des choses, je ne devrai pas. Falkhen me l'a bien dit qu'ils sont inquiets et qu'ils aimeraient que j'aille mieux. Mais je vais mieux, réellement. Est-ce que parce que j'ai du mal à dormir cela veut dire que je ne vais pas mieux ? Est-ce que parce que je souhaite aider Maylanee à libérer des gens et que je doivent reprendre les armes pour ça veut-il dire que je fonce la tête la première dans le danger pour ne pas me sentir mal ? Non, ce n'est pas comme ça... J'ai accepté son retour du pays des morts, pas son départ, mais ça ne m'empêche pas de me sentir mieux. Et il ne me croit pas, parce que je n'ai pas su garder sa confiance. Je l'ai déçu en ne prévenant pas, en ne m'ouvrant pas plus et je lui ai causé du soucis d'apprendre que j'aurai pu mourir. Je crois que je n'avais pas réalisé que je comptais à ce point pour eux avant qu'il ne me le dise. Ils comptent aussi pour moi, beaucoup, énormément même, et je me sens vraiment mal de les avoir déçu à ce point. Je ne sais pas quoi faire pour me faire pardonner, j'ai l'impression d'avoir perdu des personnes importantes et qu'il me sera impossible de les retrouver. Mais c'est de ma faute, je n'ai pas le droit de me plaindre, juste d'assumer les conséquences de mes actes. J'aimerai fuir, pour ne pas voir leur déception ou leur détachement, mais je sais que si je le fais alors tout sera vraiment gâché. Je dois m'ouvrir à eux, vraiment. J'ai peut-être une idée finalement, mais elle ne sera pas non plus sans conséquences.

	../../.... La décision n'est pas facile à prendre et j'espère ne trahir aucun secret en faisant cela, mais ça me semble la meilleure chose à faire. Je sais déjà que je ne saurais jamais trouver les mots pour vous expliquer tout ce qui a pu se passer et j'estime que je vous le dois, que c'est le plus juste. Un peu lâche parce que je ne sais pas si je serai présente à ce moment là, mais une solution sans doute acceptable. Je l'espère en tous cas. Je m'attends à tout moment à ce que l'on vienne me voir pour poursuivre les 'recherches' dans les Abysses. C'est dangereux, et ça m'éloigne de vous, mais vous feriez sans doute la même chose si l'un de vos proches venait à disparaitre et que l'on vous demandait de l'aide. Je fais donc ce qu'il me semble la bonne chose à faire tout en vous laissant ceci. Je serai prudente, je vous le promets. Je ne sais pas qui a eu l'idée de ce carnet, et malgré mes réticences, c'était une bonne chose, alors merci. Et merci à vous pour votre soutien, silencieux ou non. Vous laisser mon carnet est un premier pas vers ce que j'espère être mon pardon envers vous. Je ne dis que rarement ces mots, mais je tiens à vous, énormément. Vous êtes ce qu'il se rapproche le plus d'une famille pour moi. Leiji

D'un pas souple mais décidé, la jeune rôdeuse se dirigea dans la salle commune, et s'assit à leur table habituelle. Le carnet soigneusement fermé fut posé sur la table, en son centre. Dessus, elle déposa un petit parchemin bien en évidence.

	Atréides, Ceci est pour vous, parce que vous avez le droit de savoir. Désolée pour ceux ne sachant pas lire, mais je suis certaine que quelqu'un de confiance saura vous déchiffrer ce carnet. Sawyer peut-être, ou Ruby ? Ou même moi si je suis là. Sachez que je suis désolée, pour tout. Leiji

Et puis, d'un geste trahissant son stress et ignorant la boule dans sa gorge, elle s'assit et s'occupa à nettoyer son armure du mieux qu'elle le pouvait. Si un Atréide passait avant qu'elle ne doive partir dans les Abysses, elle était prête à faire face à ce qu'il lirait.

Elle frottait, agitait son chiffon, passait un peu de graisse à cuir sur son armure et lustrait le tout d'un énième coup de chiffon.
Elle était anxieuse, un peu. En même temps, il était difficile de ne pas l'être quand elle redoutait ce que ses amis diraient après avoir lu tout ça. Aussi, elle accueillit avec plaisir l'arrivée de la petite Shugo ainsi que ses paroles. Elle aussi en était fière de son armure, bien que sa dernière création soit encore plus somptueuse.

Le "tam tam tam" effréné de sa queue contre un meuble la rendait elle aussi nerveuse et elle se força à se concentrer sur son travail de nettoyage pour ne plus y penser. Elle fit tout de même tomber son chiffon quand arriva la question somme toute innocente.

" Ce sont des explications. "
Elle se baissa, ramassa le carré de tissu, et retourna à son frottage, ses mains tremblant légèrement. Elle finit cependant par soupirer et releva la tête, interrompant son nettoyage.

" Je n'ai pas été très correcte avec vous ces derniers temps, et le contenu me semblait bien résumer la situation. "

La nuit était tombée depuis longtemps déjà et dehors le vent soufflait en de brusques rafales. La pluie ne cessait de tomber depuis l'après midi et le bruit des gouttes sur la toiture résonnait dans la chambre en un bruit assourdissant. Elle n'avait jamais réussit à dormir quand il se mettait à pleuvoir aussi fort, même lorsqu'une dure mission l'attendait le lendemain et qu'elle avait absolument besoin de repos. Ses supérieurs ne l'en avait jamais blâmé tant qu'elle arrivait à exécuter la mission correctement.

Ce soir, elle n'avait aucune mission à appréhender, pourtant, elle se sentait tout aussi stressée. Stressée... ou angoissée ? Ou autre chose qu'elle ne savait trop comment nommer... Quoi qu'il en soit, elle trouvait qu'elle ressemblait de plus en plus à une boule de nerfs, ou quelque chose comme ça.

La fenêtre était grande ouverte et la rôdeuse assise sur son rebord comme à son habitude. Une simple bougie installée près de son lit éclairait la pièce, révélant le parquet mouillé par la pluie qui entrait au rythme des bourrasques. Ses cheveux à elle étaient tout autant trempés, ainsi que sa tunique, mais quelle importance ? La nuit était belle à ses yeux et s'accordait parfaitement à son humeur.

Dans la petite commode, le carnet de cuir avait retrouvé sa place. Elle l'avait récupéré tout à l'heure sans que quiconque ne dise un mot. Personne n'avait jamais rien dit d'ailleurs, tant et si bien qu'elle ne savait même pas si quelqu'un avait lu ces lignes. Mais après tout, quelle importance ? Elle avait fait le geste, ils avaient eu le choix, et l'histoire semblait oubliée. Ça ne l'empêchait pas de ruminer elle, et d'en tirer des enseignements. Elle trouvait d'ailleurs qu'elle s'était rapprochée de Falkhen et Haven, de la même manière qu'elle s'était rapprochée de Maylanee à l'époque. Ca avait prit du temps avant de pouvoir dire certaines choses aux habitants de la taverne, mais cela venait, peu à peu, même s'il fallait sans doute la pousser un peu avec les bonnes questions. Quoi qu'il en soit, elle était heureuse de se trouver plus proche de ses amis.

D'un autre côté, elle ne savait plus où elle en était avec ses autres amis. A vrai dire, on ne lui avait pas donné le choix non plus...
Elle soupira, alors même qu'un éclair aveuglant déchirait la pièce. Très rapidement, le tonnerre gronda, ébranlant la bâtisse. Elle ne sursauta même pas, clignant juste des yeux et remettant une mèche de cheveux mouillés derrière l'oreille. La nuit était de plus en plus magnifique, et à vrai dire, elle irait volontiers faire une petite balade.

Un petit sourire aux lèvres, elle glissa de sa fenètre et sortit d'un pas léger, laissant tout ouvert. Le sol était déjà trempé, il pourrait bien supporter quelques gouttes de plus.
En bas, dans la salle, tout était silencieux. Sawyer et Ruby devaient dormir, ainsi que le reste des habitants. Du moins, s'ils y arrivaient avec cette tempête... Elle poussa la porte qui alla claquer fortement contre le mur sans qu'elle n'ait eu le temps de la retenir. La tempête ne se fit pas prier pour entrer elle aussi, et elle dut se dépêcher pour éviter de créer une inondation ici aussi. Sa chambre était une chose, la grande salle, une autre...

Dehors, le grand arbre semblait menaçant sous les éclairs et la pluie torrentielle n'était vraiment pas engageante. Quoi qu'il en soit, elle avança la tête haute vers les pavés un peu plus loin, et s'installa le plus confortablement possible sur le petit banc à la peinture défraichie, loin des branches qui pouvaient retenir la pluie. Et elle sourit de nouveau. Le tumulte au dehors apaisait un peu celui qu'elle ressentait.

Si effectivement la complicité nouvelle qui existait avec les Atréides lui faisait un bien fou, elle ne pouvait que se sentir frustrée de ne pas avoir la moindre nouvelle des autres, et surtout de Maylanee. La dernière fois était lors de cette mission de sauvetage, quand elle avait été blessée et envoyée en catastrophe vers les prêtres de Sanctum. Et puis plus rien... Elle ne savait même pas si elle avait fini par retrouver ceux qu'elle recherchait, si elle allait bien... Elle n'était pas venue la voir, prendre de ses nouvelles, ni même lui proposer une glace. Et pourtant la rôdeuse savait qu'elle passait encore en ville de temps en temps, elle l'avait vue l'autre jour mais n'avait pas eu le courage d'aller la voir. Elle avait été trop... blessée ? de ce silence...

Elle soupira, se disant que c'était sans doute ainsi que cela devait se passer. Elle était devenue Général maintenant, elle n'avait plus le temps et devait montrer l'exemple. Elle, elle ne s'en souvenait que trop bien du temps qu'elle avait passé à négliger les autres, parce qu'on lui avait appris que c'était ainsi que l'on était le plus efficace.
D'un autre côté, Ashura avait changé également, mais dans l'autre sens. De guerrière froide et impitoyable elle était devenue plus ouverte et plus torturée aussi sans doute. Si jamais elle la croisait à Sanctum, elle devrait avoir une sacré bonne excuse pour n'avoir laissé aucune nouvelle, surtout avec ce qu'il s'était passé. Allait-elle au moins bien elle aussi ? Si cette gamine l'avait touché de nouveau...

Sous la pluie, la rôdeuse se mordit les lèvres fortement et inspira un grand coup. Elle ne devait plus y penser, elle l'avait assez cherché partout sans pour autant la trouver... Elle ne renonçait pas, mais commençait à penser qu'elle ne souhaitait pas être retrouvée, parce qu'elle allait bien, elle devait aller bien...

Quant à Psyvess... Depuis son retour elle ne l'avait vu qu'une seule fois et elle semblait aller bien. C'était au moins une bonne chose. Ce soir, elle essayerait d'aller voir chez elle, des fois qu'elle soit présente.

Le tonnerre gronda de nouveau, semblant se rapprocher encore plus. Une lumière s'alluma dans la taverne, signe que quelqu'un s'était finalement réveillé. Elle devrait peut-être rentrer, non ? D'être restée sous la pluie lui avait fait un peu de bien finalement, sans doute autant qu'un entrainement avec Haven.

C'était toujours aussi impressionnant que de voir tout ce que le ciel pouvait faire tomber comme pluie, et tout ce qu'il pouvait être menaçant avec ses éclairs et son tonnerre. Pour autant, avec elle qui souriait, trempée comme une souche sur son banc et le rire qu'elle entendait et qui semblait se rapprocher, ce n'était sans doute encore pas assez menaçant.

Elle se leva et replaça machinalement une mèche de cheveux derrière l'oreille, frissonnant machinalement lorsque l'eau dégoulina sous sa tunique. Ce rire, elle le connaissait bien et à vrai dire, cela la surprenait de l'entendre à cet instant. Se rapprochant, elle distingua bientôt la frimousse blonde de la petite rôdeuse et son plaisir à s'éclabousser avec l'eau accumulée dans les feuilles des arbres. A la voir ainsi, elle ne pouvait que sourire d'autant plus tant sa bonne humeur était flagrante et contagieuse.

" Shairya !" l'apostropha t-elle ! "Ce n'est pas une heure pour rentrer tu sais.... et que dirait ta mère à te voir ainsi trempée hein ? Attention aussi à la foudre, à rester ainsi sous les arbres... " Si les paroles étaient clairement des réprimandes, son sourire et son ton léger démentait tout le reste. Elle se sentait d'un coup nettement mieux, merci au charme de la petite tornade blonde. " Allez, viens, rentrons nous mettre à l'abri avant que l'on ne soit repérées. " Si Haven ne pouvait techniquement rien lui dire à elle d'aller se promener sous la pluie à une heure avancée de la nuit, ce n'était sans doute pas le cas de Shairya. D'autant qu'à force elle risquerait fort de tomber malade.

Mercenaire, mission secrète, sauvetage, message secret... Autant de mots qui lui glacèrent les os bien plus surement qu'aucune nuit passée sous une pluie torrentielle. Son sourire se perdit instantanément tandis qu'elle se figea, le regard soudainement plus vague et la tête pleine de souvenirs. Comment Shairya était-elle au courant de son passé ? Ce n'était certes pas un secret mais qui avait bien pu lui parler de ça ? Comment cela avait-il pu arriver dans n'importe quelle conversation ? Et qu'est ce qui avait été dit au juste ? Et qu'imaginait-elle a ce sujet ? Que c'était amusant ? Digne de récits merveilleux ?

Haven lui évita d'avoir à poser la moindre question, tout comme elle lui évita d'avoir à fournir la moindre réponse. Elle se contenta de continuer à regarder les arbres sans plus se soucier de la pluie ni de l'orage. Un éclair zébra le ciel, bien vite suivi d'un tonnerre assourdissant qui lui donna l'impression que la terre venait de se fendre juste à côté d'elles. Mais qu'importe, elle n'avait soudainement plus envie de rentrer, juste de rester là et de laisser la pluie laver ses souvenirs. En général, elle évitait de se laisser emporter par ce passé où elle n'arrivait plus vraiment à se retrouver, mais ce soir elle était d'humeur à se laisser porter par ce qu'elle avait en tête et ne se sentait pas la force de le repousser loin dans sa mémoire.

Elle hésita, regardant le banc et les deux Daevas tour à tour avant de se mordre fortement la lèvre et d'amorcer un pas en direction de la taverne. Elles étaient déjà toutes deux trempées comme des soupes à être restées ainsi et si Shairya portait son armure de cuir, Haven n'était au contraire habillée que de ruko, tissu vraiment trop peu épais pour tenir un minimum chaud. Si elle décidait de rester sous la pluie, elle savait qu'on ne la laisserait pas tranquille avant qu'elle n'admette ce qui la tracassait, peut-être même si elle le demandait fermement, alors autant les mettre à l'abri avant qu'elles ne tombent malades toutes les deux. Elle, elle aurait bien encore le temps de retourner sous la pluie plus tard, que ce soit sur ce banc ou simplement depuis la fenêtre de sa chambre.

En attendant, elle fit ce qu'elle pu pour refouler les souvenirs et retrouver un air relativement neutre à défaut de son précédent sourire. D'un pas décidé, avant de changer d'avis, elle fit le bout de chemin jusqu'à la porte de la taverne, qu'elle prit soin d'ouvrir lentement, sans la faire claquer. Sans attendre ni la jeune rôdeuse, ni la clerc, elle grimpa à l'étage, revenant quelques minutes plus tard avec deux serviettes de linon bien moelleuses et surtout sèches. Sans un mot, elle leur en tendit à chacune une avant de disparaitre en cuisine faire chauffer un peu de lait. Un peu de cacao, une touche de miel et deux tasses fumantes furent bientôt prêtes.

De nouveau, elle déposa les deux tasses sans dire un mot, à peine un regard, avant de s'asseoir au bout du banc, se fichant totalement de tremper le sol sous elle. Pour le reste, cela faisait tellement longtemps qu'elle n'était plus tombé malade qu'elle ne voyait même pas l'intérêt de se sécher ou se réchauffer.

Du coin de l'œil elle observait la mère et la fille, serrées l'une contre l'autre, chacune prenant tendrement soin de l'autre. Il était plus qu'évident qu'elles s'aimaient beaucoup et que ce moment était privilégié. Elle se sentirait presque de trop dans cette pièce, mais peut-être l'était-elle véritablement après tout.

Mal à l'aise devant tant d'affection, elle se leva discrètement et se rendit de nouveau dans la cuisine. Un chocolat chaud avec du miel n'était peut-être pas à exclure finalement. Le lait dans la casserole, le tout sur le feu, elle attendait que ça chauffe suffisamment pour la réchauffer. Elle avait froid finalement et sentait ses yeux picoter dangereusement. Elle renifla, versa maladroitement le lait dans une tasse, ajouta le cacao et une touche de miel. Les effluves qui s'échappaient de la tasse ainsi que la chaleur autour de ses doigts chassèrent un instant les pensées tumultueuses de son esprit, juste assez pour réussir à se contrôler encore un peu.

Un frisson la parcouru, l'obligeant à serrer la tasse encore plus pour un peu de chaleur. La première gorgée fut un baume dans tout son corps, chauffant agréablement son être et apportant une douceur réconfortante sur sa langue. Sa boisson chaude favorite, parce que c'était lui qui lui en avait offert une nuit de pluie. C'était lui aussi qui lui avait appris à la réussir correctement, même si rien n'était bien compliqué. Ça avait été un moment de paix en ces temps troublés, et elle avait été heureuse de le rendre fier d'elle, même pour quelque chose d'aussi simple qu'un chocolat chaud. Mais c'était il y a bien longtemps, au temps où elle se serait bien abstenu de faire voir la moindre de ses émotions, jusqu'à en oublier ce que c'était même de le ressentir. Mais ça ne l'empêchait pas de ressentir maintenant, quand elle se surprenait à y repenser.

D'un pas discret, elle se rapprocha de l'entrée de la pièce, reportant de nouveau son regard sur la mère et la fille, la tasse entre ses doigts. Elle but une seconde gorgée, hésitant entre les laisser ou les sortir de leur monde avant de ne prendre froid pour de bon. Elle se racla la gorge et tourna la tête vers la table.
" Vous devriez en profiter pendant que c'est chaud. Ça perd de son intérêt après. "
Et elle haussa les épaules, l'air de dire "mais c'est vous qui voyez après tout".

Appuyée contre la porte, elle porta son regard un instant sur la pièce, notant chaque détail qui pouvait lui faire penser à une maison. Un exercice qu'elle s'était mise à faire une fois et qu'il lui arrivait de faire de temps en temps encore. A chaque fois elle trouvait d'autres choses à rajouter à sa liste. Ce soir, c'était les tasses fumantes et le rire de ses amies. Elle aurait volontiers allumé le feux d'ailleurs pour pouvoir s'installer devant, entendre les bûches crépiter, regarder les flammes hypnotiques... Mais il était déjà tard et l'air n'était pas aussi froid pour nécessiter un feu. La pluie faisait après tout aussi bien l'affaire, même si elle apportait un réconfort différent.

Le nez dans son chocolat chaud, elle s'imprégnait de la chaleur qui s'en dégageait et se délectait de son parfum sucré. Et le goût... elle adorait toujours autant. Shairya semblait être de son avis, ce qui fit apparaitre un petit sourire sur ses lèvres. Elle était simplement contente de pouvoir apporter un peu de bonheur aux gens qu'elle appréciait énormément, même pour quelque chose d'aussi simple qu'un chocolat chaud.

Et tout se compliqua, d'une manière qui la fit frissonner et se glacer à n'en plus oser bouger un muscle. La petite rôdeuse s'approchait d'elle, un sourire malicieux aux lèvres et armée de sa serviette...
Tendue, elle la regarda s'en prendre à ses cheveux, commentant pour sa mère le chocolat, et la réprimandant elle pour risquer prendre froid. Et... enlever sa tunique... comme dans la retirer là maintenant tout de suite ? Devant elles ?
Ce fut instinctif, elle arracha sèchement des mains la serviette à Shairya tout en reculant de quelques pas pour se mettre en sécurité, le visage fermé. Si elle était à l'aise avec les gens et les contacts physiques, ça n'avait jamais été son cas, question d'éducation sans doute.

" Ça ira, je ne tombe pas facilement malade. D'ailleurs, il me reste quelque chose à faire dehors. "

Si elle était un peu moins à cran avec ses émotions, elle aurait sans doute soupiré puis se serait excusé de son comportement. Seulement elle passait d'un extrême à l'autre avec une facilité qui lui faisait peur, aussi elle se contenta de garder son regard froid, de serrer la serviette dans son poing et de fixer son chocolat.

En colère contre elle-même pour sa réaction, elle aurait bien aimé avoir à sa disposition une salle d'entrainement, comme au manoir Solkan. Un pincement au cœur et une boule dans la gorge lui fit revoir ses pensées. Sa vie au manoir était aujourd'hui synonyme d'amis disparus pour la plupart : Tika, Narfen, Nemiah, Mekura, Moarane... et Maylanee, la boucle était bouclée.

Elle déglutit, son problème de comportement à moitié effacé de son esprit, remplacé par son soucis initial, celui qui l'avait fait sortir sous cette pluie battante. Et là, face à Haven et Shairya, qui la regardaient en ayant l'air d'avoir raté un épisode, ça devenait un peu trop pour ses nerfs. Alors elle posa simplement sa tasse sans la finir, déposa la serviette sur les cheveux de Shairya, réussi à l'ébouriffer un peu, fit la moue pour Haven, et ressortit sans dire un mot.

Du calme dans sa tête et ses sentiments, c'est tout ce qu'elle demandait ! Un retour à l'esprit de famille qu'elle trouvait il y a à peine deux minutes, avant qu'elle ne réagisse comme elle savait si bien le faire : n'importe comment. Tout ça pour une malheureuse histoire de tunique mouillée...
Elle eut de nouveau envie de pleurer en pensant que Shairya voulait juste l'aider et se comportait simplement comme une famille l'aurait sans doute fait.. Jamais elle ne réussirait à se comporter normalement ni ne pourrait faire partie à part entière d'un groupe aussi soudé qu'une famille. Elle s'en approchait ceci dit, mais elle n'y parviendrait jamais.