Journal de rapport

Leiji mâchait une bouchée de brioche tout en grimaçant. La viennoiserie était excellente, mais sa joue lui faisait visiblement encore mal. Falkhen, qui lui avait déjà terminé son énorme part, avait le regard rivé sur la flamme de la chandelle, mais semblait perdu dans ses pensées. Sawyer, après avoir entendu les réponses de la rôdeuse, était redescendu pour finir de préparer le service du petit déjeuné pour les autres occupants de la taverne.

- " Ça ne colle pas... "

Leiji regarda le templier d'un air interrogateur.

- " J'ai toujours su que tu étais une grande combattante, mais... sauf ton respect, comment se fait il que tu sois encore vivante ?"

Falkhen se leva.

- " Je veux dire par là que... Deux assassins agissant de concert, te prenant par surprise, dans une pièce exigue dans laquelle je suppose que tu n'as pas eu ni le temps ni l'espace de te servir de ton arc, et tu t'en sors en vie, seulement avec une joue enflée ?! Non, ça ne colle pas... Et puis cet asmodien, quand je suis arrivé dans la chambre, il a dit que tu ne risquais plus rien. "

Il faisait le tour du lit tout en parlant, puis s’arrêta et se retourna vers la rôdeuse.

- " En fait, je crois que celui qui est partit quand j'ai défoncé ta porte ne cherchait pas à te tuer. Il n'y a que comme ça que je m'explique le fait que tu sois encore parmi nous ce matin, et crois moi, j'en remercie Aion de toute mon âme. Après, savoir si c'était pour te sauver ou juste parce qu'il a besoin de toi en vie, ça... Ça me dépasse. "

Sawyer arriva dans le couloir.

- " Tu ne peux pas la laisser manger tranquille non ? Elle a répondu à ta question, tu devrais être satisfait. " Tout en disant ça, il fit un regard appuyé à Leiji, tentant de lui faire comprendre qu'il n'était pas dupe quant à la réponse qu'il avait obtenu à sa propre interrogation.

Le tavernier se dirigea vers la fenêtre, l'ouvrit puis écarta les volets. La lumière du soleil naissant inonda la petite chambre.

- " Laisses là donc se reposer un peu, on reparlera de tout ça à tête reposé. En attendant, tu as autre chose à faire je crois."

Falkhen lui sourit.

- " Oui, oui, je n'ai pas oublié." Dit-il en se dirigeant vers la sortie de la chambre. "Je vais réveiller le vieux Sam et le charger de fabriquer une porte toute neu..."

" BROOOCK "

Surpris, le templier regarda sur quoi il avait marché. Tout en affichant un air gêné destiné à Leiji, il ramassa les morceaux de l'objet qu'il venait d'écraser.

- " Je suis désolé Lei, j'ai pas fait gaffe... On dirait que c'est pas ma journée aujourd'hui... ".

Il tendit ses mains remplies de débris à son amie. parmi eux se tenait une petite fée qui semblait danser sous une lune rouge.

Elle soupira, se passa une main dans les cheveux, se remémora encore la scène de la soirée. Peut-être que l'Asmodien avait essayé de l'aider, peut-être que c'était une ruse pour tromper l'assassine aussi et que Falkhen l'avait dérangé, peut-être... Il y avait tellement de possibilités et elle ne saurait jamais laquelle était la bonne. Elle ne le connaissait pas assez et si jamais elle lui posait la question il ne répondrait sans doute pas. C'était frustrant, parce que sans connaitre ses motivations, elle ne pouvait pas prévoir ce qu'il allait faire ensuite. L'assassine reviendrait sans doute finir son boulot elle, à un moment où elle s'y attendrait le moins, bien évidemment. Quant à lui... Elle n'en n'avait aucune idée.

Elle soupira de nouveau, remerciant mentalement Sawyer et son intervention. Peut-être qu'à tête reposée elle y verrait plus clair oui, peut-être aussi qu'elle se ferait encore plus de nœuds au cerveau. En attendant, ça lui laissait un peu plus de temps pour savoir comment expliquer plus en profondeur les faits sans les inquiéter inutilement. Et surtout, surtout, ça lui laissait du temps pour trouver une bonne réponse pour le tavernier auquel elle renvoya un sourire d'excuse.

La lumière du jour et les ombres des arbres dans sa chambre lui arracha un petit sourire. Combien de fois s'était-elle réveillée ici même avec cette image devant les yeux ? Combien de nuits avait-elle passée devant la fenêtre à guetter le lever du soleil ? Combien de matins était-elle descendue pour s'attabler avec les autres pour un bon petit déjeuner ? C'était comme être de retour à la maison, mais avec cette impression d'y être un peu étrangère, que tous ces bons souvenirs ne se reproduiraient jamais. D'ailleurs, elle suspectait Sawyer d'essayer de faire partir Falkhen pour pouvoir l'interroger en privé...

" BROOOCK "

Surprise elle aussi, elle regarda Falkhen ramasser ce qu'il avait cassé. Avant qu'elle n'ait le temps de s'interroger sur ce qui pouvait bien être fragile dans sa chambre, il lui présenta les débris qu'il tenait dans ses mains. La fée ne bougeait plus vraiment et la lune semblait tenir comme par miracle. Le reste de la boite était en mauvais état : de toute évidence, plus aucune musique n'en retentirait. Elle déglutit.

" Ce... n'est pas à moi, c'est... à l'assassine... ". Son regard restait figé sur la boite, ne comprenant pas comment elle avait pu être encore ici. L'Elyséenne avait eu l'air d'y tenir, alors pourquoi la laisser en partant ? A cause de l'Asmodien ? Quoi qu'il en soit, elle écartait l'hypothèse d'un oubli volontaire. Une boite à musique restait une boite à musique, il n'y avait pas d'arme sous-jacente. Elle soupira encore une fois, récupérant les débris dans sa main. A présent, elle s'en voulait d'avoir dévoilé que ce n'était pas à elle, elle ne comptait pas les mettre en danger plus que ça et attirer l'assassine ici de nouveau. Elle ne mentionna pas qu'il y avait de fortes chances pour qu'elle vienne récupérer sa boite, mais ils étaient assez intelligent pour faire le rapprochement eux même.

A la place, elle détailla la pièce à la recherche de son propre objet de cuir. Elle l'avait laissé sur le lit hier, elle en était sûre. Hors, elle était dans ce même lit à présent... Il n'était sur la petite commode, pas plus que dans son tiroir comme le confirma une rapide vérification. Elle se leva, regarda une nouvelle fois par terre, sous le lit... Elle ne trouva qu'une dague à moitié dissimulée dans l'ombre qu'elle récupéra et examina silencieusement. Et puis, elle se risqua à poser la question qui la taraudait : " Mon carnet... Vous l'avez vu ? "

Falkhen avait haussé les épaules, avait répondu qu'il ne voyait pas de quoi elle parlait, puis avait passé le cadre de la porte et avait descendu les escaliers de la taverne du pas pesant de l'homme qui n'a pas dormit autant qu'il aurait voulu.

Sawyer se servit une tasse de lait fumante, puis vint la poser sur le rebord de la fenêtre avant de s'accouder lui même à celui ci.

- " Si le journal dont tu parles est bien celui que tu as laissé il y a quelques temps dans la salle commune, alors je ne l'ai pas vu ici, mais je dirais que ce n'est pas étonnant que tu l'ais perdu si tu le laisses trainer dans des endroits où il peut tomber si facilement sous la main de n'importe qui... "

Il fit un petit sourire, montrant sans le dire qu'il avait lu le fameux bouquin et qu'il n'en avait aucun remord. Aprés tout, si ce livre était si précieux pour Leiji, le laisser en bas ne devait pas avoir d'autre but que de le partager avec ses amis.
Sawyer se retourna pour faire face à la rôdeuse. Le dos appuyé contre la fenêtre de la chambre, il affichait une mine décontracté qui jurait assez avec son style habituel.

- " Connais tu la véritable histoire du vieux Will ? Probablement, oui, puisque je vous l'ai déjà raconté à toi et aux autres. Il a fondé les Atréides, a fait de cet auberge son quartier général, mais son action a été mal comprise par les gens du village et les forces de Sanctum sont venus le prendre, le juger puis l'executer pour trahison envers les forces Elyséennes. Fricoter avec les asmodiens n'a jamais été bien vu.
Mais quand je te parles de la véritable histoire du vieux Will, je veux te parler de la première fois qu'il a mis les pieds dans cette taverne. Celle là, personne ne la connaît parce que j'ai su tenir ma langue jusque là... Et parce que personne n'avait besoin de savoir selon moi.
Quand Will est arrivé dans ce village, il n'était pas seul. Un homme beaucoup plus reservé que l'exubérant William l'accompagnait partout, tel son ombre. Il se nommait Hagen. Il me faisait peur, mais je suppose que, du haut de mes dix ans, tout être un peu impressionnant ne pouvait pas me faire d'autre effet.
Will était le porte parole, la tête d'affiche de leur groupe, mais il n'en était pas le chef. Hagen et lui n'agissait pas si l'autre n'était pas d'accord quand à l'action qu'ils devaient mener. C'était deux Daevas au service de Sanctum, mais que la guerre avait réunis et forgé de telle façon qu'ils en étaient devenu inséparables. William affectionnait l'épée à deux mains et les armures de plates lourdes, tandis que Hagen préferait les dagues de lancé et les armures de cuir. Ils se complettaient parfaitement et revenaient souvent victorieux des missions que leur confiait Sanctum.
Mon père, qui tenait cette auberge alors, me disait souvent que si un jour je pouvais devenir Daeva, il aurait voulu que je leur ressemble... "

Sawyer s'arreta quelques instants puis, avec un petit rire, ajouta " Mon père a toujours était un reveur né... Je n'avais aucune envie de devenir un guerrier. J'ai toujours su que je lui succèderais dans cette taverne."

Le tavernier effaça son regard réveur et reposa ses yeux sur Leiji.

" Un matin, trés tôt, alors que j'étais dans la salle commune à préparer le pain pour le petit déjeuné, j'ai croisé Hagen. Je me rappellerai toujours de cet instant où je l'ai vu me sourire. C'était si rare. Puis il s'est approché de moi, s'est accroupit à ma hauteur, et m'a tendu un petit éclat de pierre précieuse rouge qu'il portait en pendentif. "Si je ne reviens pas, tu donneras ça à Will de ma part. Tu lui diras que je suis désolé". Puis il s'est levé et a fait mine de partir. Mais au moment où il allait passer la porte, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, mais je lui ai dis " Et qu'est ce qui m'empèche d'aller reveiller William à l'instant et de lui dire que tu as décidé de partir sans lui ?" J'avais peur bien sûr, mais pas autant que lorsque je l'ai vu se retourner et se rapprocher de moi. J'ai cru qu'il allait me faire du mal, mais il s'est seulement accroupit de nouveau devant moi et m'a sourit.
"Tu ne me laisseras pas partir comme ça hein. Bien, je vais t'expliquer" qu'il m'a dit. "Je sais de source sûre que la prochaine mission que nous a confié Sanctum est un piège. J'en ai parlé à ce gros béta, mais il ne voit que le bon côté des gens. Il se refuse à admettre que certains conspirent dans nôtre dos, et que sa lubie de vouloir réconciler les asmodiens et les élyséens est mal vue par le grand conseil. Je sais ce qui nous attent là bas, alors je pars devant. Je vais leur montrer qu'on ne plaisante pas." J'ai alors tendu l'eclat de cristal devant moi en lui disant "ben dans ce cas, vous lui donnerez à vôtre retour !" Il m'a sourit tristement, puis m'a dit que quand je serais plus grand, je comprendrais. Puis ensuite, je ne me souviens plus de rien. Mon père m'a reveillé alors qu'il faisait grand jour à coup de tatane dans le posterieur.
Hagen m'avait endormis, pour que je ne donne pas l'alerte. je ne l'ai plus jamais revu. Will a appris plus tard qu'il s'était présenté pour la mission, et qu'il avait subit seul le piège qui leur était destiné. Il s'était simplement sacrifié pour son ami..."

Sawyer se retourna une nouvelle fois, regarda la grande place puis se mis à agiter un bras et à mettre l'autre devant sa bouche pour en faire un porte-voix.

- " Depêche toi Falkhen, vas y avec plus d'entrain ! Plus vite tu auras terminé ta tâche, plus vite tu pourras rejoindre le toit de la taverne et rattrapper ta nuit !"

Puis, toujours tourné vers la grand place et le soleil, il continua à parler pour Leiji.

- " Quand j'y réfléchis, je trouve que Falkhen ressemble beaucoup au vieux Will. un gars simple, impulsif, qui ne calcule jamais quels impacts vont avoir ses actions tant qu'il peut être là pour sauver ses amis. Et toi ? A bien y regarder, tu ne ressembles pas du tout à Hagen... Mais j'ai l'impression que tu ne vas pas tardé à me faire mentir... Et ça, je peux t'assurer que personne ici ne s'en remettrait, tu me suis ?"

Le tavernier se rapprocha du lit tout en farfouillant dans sa poche. Puis, arrivant en face de son amie, il sortit une petite chaine au bout de laquelle se balançait un éclat de grenat scintillant.

- " Will n'a jamais voulu garder le bijou. Il disait que je devrais le garder jusqu'à ce que je trouve quelqu'un qui serait digne de le porter. Aujourd'hui, je pense que c'est à toi d'en hériter. "

Il posa le bijou sur la couverture de leiji, sans attendre sa réponse. Puis il se dirigea vers la sortie.

- " Je ne sais pas ce que tu complotes, Leiji... Mais je sais que je ne me trompe pas : tu as le même regard que Hagen avait ce matin là. Celui de la personne qui a décidé d'affronté seule les ennuis pour préserver ses amis à tout prix. Je ne peux pas te forcer à rester là eternellement alors... Promet moi de revenir saine et sauve. Il a déjà été difficile de relever la tête aprés le départ d'Haven. Le tient serait insurmontable."

Une main sur le montant de la porte, Sawyer posa un regard tendre sur Leiji.

- " Tu dois me prendre pour un vieux fou... Bah. Vois ça plutôt comme les paroles... d'un père soucieux du bonheur de ses enfants ? "

Et avec un petit rire, le tavernier disparu dans le couloir.

" Hagen était un imbécile, c'est ce que j'en pense " dit-elle en déposant le bijou sur le comptoir. Là, sans la lumière éclatante qu'il y avait dans sa chambre il semblait plus fade, moins chatoyant. Pourtant, elle continuait de le fixer, fascinée par sa couleur, par sa forme, par son histoire peut-être aussi. " Il savait qu'il allait droit dans un piège et il a laissé faire, alors qu'ils auraient pu trouver un autre moyen de s'en sortir. Au final, il s'est sacrifié pour rien. " Relevant la tête, elle regarda le tavernier qui essuyait avec application ses verres, l'air de ne pas se préoccuper d'elle. Elle savait cependant qu'il écoutait avec attention.

Après sa tirade, elle était restée un moment assise sur son lit, puis accoudée à la fenêtre à regarder dehors. Les paroles de Sawyer lui avaient fait l'effet d'une gifle : était-elle aussi transparente ? S'il avait lu son carnet quand elle l'avait laissé en bas il y a bien longtemps, il n'avait cependant pas pu le faire tout à l'heure... Elle ne pensait pas que le sentiment de fin qu'elle ressentait était aussi visible, mais peut-être que le tavernier était plus perspicace qu'il ne semblait l'être. Soupirant, elle avait récupéré le bijou et descendu les escaliers : elle ne reviendrait pas en arrière maintenant.

" Tu sais " ajouta t-elle avec un petit sourire un brin nostalgique " j'ai été absente si longtemps... Vous vous débrouillez très bien sans moi. Vois mon passage comme une marque d'égoïsme de ma part. " Elle regarda la porte, appréhendant de la voir s'ouvrir sur Falkhen. C'était merveilleux de les revoir, mais douloureux aussi. Tous ces souvenirs... La vie qu'elle pourrait de nouveau avoir si seulement elle restait. Mais ce n'était pas aussi facile, pas quand Severin et ses généraux pouvaient encore menacer son autre famille. Pas quand Shin l'attendait. Après tout, le petit bijou forgé dernièrement devait encore être donné.

Elle se retourna de nouveau vers Sawyer et poussa le pendentif vers lui. " Hagen était un imbécile, je ne ferai pas la même erreur que lui. " Peut-être qu'ainsi elle avouait partir affronter les ennuis oui, mais elle ne serait pas seule, elle ne partait pas pour tomber dans un piège mais affronter celle qui avait fait tant de mal à celui qu'elle... à celui à qui elle tenait. Se sacrifiait-elle sachant qu'elle pensait ne pas revenir ? De nouveau elle sourit un peu tristement. " On m'a toujours dis que les sentiments n'ont pas leur place dans le coeur d'un soldat, qu'il n'y a que la raison qui prime. Alors... " Alors lequel parlait ? Était-ce sa peur du combat à venir ? La crainte de ne pas être à la hauteur ? Un manque de confiance en ses capacités ? En étant objective, elle avait du mal à estimer s'ils partaient réellement à la mort ou non. Certes Cassandra était puissante, mais ils seraient plusieurs, tous entrainés et efficaces. Ils avaient réussi à défaire d'autres généraux, pourquoi pas elle ? Mais son côté rationnel savait aussi qu'elle avait réussi à s'emparer d'un combattant chevronné sans le moindre effort et qu'il ne fallait pas la sous-estimer. Au final, elle se contenta de secouer la tête, ne sachant comment terminer sa phrase. Que ce soit ses sentiments ou sa raison, elle n'avait absolument aucune certitude. Même sa mort n'était plus une certitude parce qu'il y avait ce brin d'espoir malgré tout. " Je ne peux pas te faire la promesse que tu demandes, mais... si je peux, je reviendrai le chercher. Bientôt. " ajouta t-elle en désignant le médaillon.

Elle regarda une dernière fois la pièce, lui sourit de nouveau brièvement puis se dirigea vers la porte. Grande ouverte, le soleil entrait à flot dans la salle et l'éblouissait presque. Elle voyait pourtant nettement Falkhen un peu plus loin, discutant avec animation avec celui qu'elle pensait-être le menuisier. Bientôt il reviendrait, ainsi que les premiers clients de la journée. Elle sourit avec plus de chaleur, se tournant une dernière fois vers le tavernier discret. " Il irait bien à Falkhen, non ? " Et puis elle fit un pas, franchit la porte et la referma silencieusement. Le temps que le templier revienne, elle s'était déjà éclipsée dans la forêt.

Le fait que son carnet ait disparu l'angoissait toujours, mais ce n'était pas le plus important pour le moment. Pour l'heure, ce serait suicidaire de se lancer à la suite de l'un ou l'autre des assassins pour quelques morceaux de papier et une couverture de cuir. Même si ceux-ci étaient importants pour elle, même s'ils pouvaient représenter une arme. Non, le plus important étaient les souvenirs, les images gravées dans sa tête... Tout ce qu'elle souhaitait emporter avec elle avant d'aller combattre.

Le ciel s'était couvert d'un seul coup, déversant en quelques secondes des milliers de perles translucides, cinglantes comme des coups de fouet, glaciales comme les vallées de Beluslan.

Elle fut trempée en un rien de temps, accélérant sa course pour rejoindre au plus vite le manoir, le souffle mordant du vent sur ses vêtements mouillés lui procurant la désagréable sensation de se faire lacérer par de puissantes griffes. Lorsque le portail fut en vue, elle se prit à espérer ne croiser personne, sa "défaite" lui semblait tatouée en plein milieu du visage, exposée à la vue de tous, comme un outrage, un sceau maudit. Mais elle savait qu'"elle" l'attendait, en attente d'une réponse mais aussi simplement pour savoir si elle allait bien, si elle n'était pas blessée. Alors, relevant la tête et adoptant la posture la plus droite possible, l'assassine poussa les hautes grilles et entra dans les jardins.

Saluant respectueusement le couple, la jeune femme se dirigea vers ses quartiers, le regard fixe, la mâchoire crispée, visiblement contrariée. Elle n'avait pas mentionné la perte de la boîte et n'en avait de toutes façons pas eu le temps, espérant de tout cœur que la rôdeuse avait eu plus d'égards pour son précieux objet qu'elle n'en avait eu avec son carnet. Le carnet... L'assassine le posa sur sa couche avant de se débarrasser de sa tenue imprégnée d'eau de pluie et d'entrer dans la douche, laissant l'eau presque brûlante couler sur ses cheveux rose métallique qui vinrent se plaquer sur son visage. Front et mains posés contre le mur carrelé, elle repassa en boucle la scène de l'auberge dans son esprit. Au final sa mission était remplie, même si sans l'échappatoire offerte par ce mystérieux Asmodien les choses auraient pu être toutes autres. Elle brûlait d'envie d'en savoir plus sur lui, au moins autant qu'elle désirait affronter une nouvelle fois Leiji, sans retenue cette fois, à découvert. L'idée la fit sourire, jusqu'à ce qu'elle revoie mentalement son coffret... Sortant de la salle de bains, elle enfila rapidement des vêtements sobres, mais surtout secs, puis rejoignit son commanditaire dans un petit bureau attenant à la bibliothèque.

En la voyant arriver, May lui fit signe d'entrer et referma la porte derrière elle.

"Alors Aya, dis-moi tout, comment se porte-t-elle?"

"Mieux que vous ne le pensez je suppose, elle n'a rien perdu de ses réflexes ni de ses talents, j'affirmerais plutôt le contraire malgré le fait que je ne l'ai pas vue s'exercer une seule fois durant ces quelques jours. Je... J'ai clairement été tenue en respect lors de l'affrontement mais elle gardait son sang froid à chaque instant, du moins, c'est ce qu'elle laissait paraître. Je n'ai pas réussi à la toucher une seule fois."

Ayalee baissa les yeux à ces mots.

"Allons Aya, ce n'est pas pour évaluer tes capacités que je t'ai envoyée là-bas. Je sais ce que tu vaux, je sais jusqu'où tu peux aller et je ne m'en inquiète pas. Mais je suis heureuse de ce que tu me rapportes, et bien que j'imagine vaguement ce qu'elle va m'envoyer à la figure lorsqu'elle apprendra que je suis derrière cette mascarade, je ne te cacherais pas que je suis impatiente de la revoir... "Officiellement". Par contre, pour ce qui est des autres Atréides... C'est le flou complet. Mais j'irais malgré tout, et puis tu m'accompagneras n'est-ce pas?"

"Comme toujours."

La templière lui sourit à nouveau.

"Il y a autre chose Aya? Tu m'as l'air inquiète."

"... J'ai laissé à l'auberge un objet de grande valeur, et j'aimerais le récupérer à tout prix."

"Beuh... C'est tout? Tu fais la tête juste pour ça?"

"C'est... Important pour moi."

"Hum... Tu sais, là-bas il n'y a pas de voleur. Tu peux être certaine que ton bien est soigneusement posé
quelque part à t'attendre, et puis, c'est toujours pour eux une piste exploitable pour remonter jusqu'à toi non?"

"Certainement. Et aussi..."

"Oui?"

"Il y avait quelqu'un d'autre, un Asmodien."

"Oh? Un résident?"

"Non, il est apparu pendant notre affrontement, c'est grâce à lui que j'ai pu rentrer sans encombre, il m'a aménagé une ouverture en assommant votre amie."

"Et tu l'as laissé là-bas avec elle?!!"

"Il ne désirait pas sa mort, j'en suis certaine. Comment dire... Il l'a écartée du danger que je représentais à ses yeux en me permettant de partir sans avoir à le combattre. J'ignore qui il est et ce qu'il veut mais elle en tous cas,
semblait le connaître."

Pendant qu'Ayalee lui détaillait les évènements, Maylanee se préparait à partir sur le champ, endossant sa cape et ceignant son épée à sa ceinture.

"Je vois... Mais tout de même... Les choses auraient été plus simples si je lui avait tout bêtement écrit... Mais tellement moins palpitantes!"

Et elle partit de son éclat de rire distinctif. L'assassine, elle, la fixait intensément, les yeux luisants.

"J'en connais un qui va me faire la tête, mais au moins j'aurais averti de mon départ cette fois! Rejoignons-nous devant le portail, d'accord?"

"A vos ordres Dame."

"Ayaaa...", soupira Maylanee.

"Bien. J'y vais de ce pas."

Même si elle ne pouvait clairement expliquer d'où cela lui venait, Ayalee se sentit prise d'un mal-être persistant à la simple idée de retourner à la Taverne de l'Astre. Ce n'était pas de la peur, bien sûr que non, mais quelque chose lui soufflait à l'oreille que cette nouvelle visite serait marquante pour elle, quant à savoir de quelle façon, ça, elle le découvrirait bien assez tôt...

Elle ne s'était pas rendue compte du temps écoulé depuis qu'elle avait quitté la pièce pour prévenir Kayje de son départ pour la Taverne de l'Astre. Le séjour serait sûrement de courte durée, il devait l'être d'une façon ou d'une autre, elle avait des obligations à présent, le temps n'était plus à ses escapades longues et répétées et bien qu'elle n'avait pas vraiment accepté l'idée qu'elle devait désormais rendre des comptes, elle s'acquittait de ce devoir avec de plus en plus de sérieux. Après l'avoir couverts de baisers et tripoté plus qu'elle ne le caressait, elle tourna le dos promptement pour ne pas avoir à endurer plus longtemps la déchirure infligée par cette subite séparation. C'est en repassant devant la pièce où elle s'était entretenue avec Ayalee un peu plus tôt qu'elle le remarqua finalement, posé au coin du bureau, semblant attendre que quelqu'un se décide à faire cas de lui, en l'occurrence pour un carnet de ce type, à l'ouvrir et le parcourir. La curiosité de Maylanee n'était un mystère pour personne, d'autant plus que cette fois, on semblait l'avoir posé là à son attention. Oubliant du coup que sa seconde l'attendait à l'entrée du manoir, oubliant ce pour quoi elle venait de se préparer, elle se posa sur un siège et, ouvrant le livret de cuir avec une appréhension mêlée d'excitation, en entreprit la lecture.

Même si l'écriture lui était inconnue, et pour cause, elle n'avait pratiquement jamais eu l'occasion de la voir avant, les mots couchés sur ces feuilles fines lui parlaient étrangement. Au fil des lignes, sa supposition initiale se confirma, et d'un coup sec, elle referma le petit cahier, figée, comme si elle venait de commettre un acte irréparable, un crime immonde. Avec peine, elle murmura "L-Leiji...", réalisant qu'elle tenait entre les mains des pans entiers de la vie de son amie, mais d'un point de vue qui lui était bien entendu totalement étranger, puisque la discrétion de Leiji sur ses pensées profondes et ses états d'âme avait presque atteint le statut de légende. Maylanee se mit à y songer, encore, et encore jusqu'à ce que sa curiosité reprenne le pas.

"Je la comprendrais sans doute mieux après ça." se dit-elle pour atténuer le poids de sa culpabilité.

Mais contrairement à ce qu'elle aurait pu imaginer, ce n'était pas de tendres sourires ou de petits rires amusés que firent naître ces pages, les mots lancés au gré de l'émotion tantôt la giflaient avec force, tantôt la transperçaient tels des dagues aiguisées. Elle découvrit une part de la rôdeuse dont elle n'avait jamais eu connaissance et n'aurait sûrement jamais rien su sans ce petit ouvrage, qui avait atterri là comme par enchantement. Elle réalisa, bien que trop tard, le mal qu'elle avait pu lui faire par cet acte inconsidéré qui lui semblait pourtant si loin derrière. Oui, pour elle tout avait été simple, mis à part la morsure ardente du lac en fusion lorsqu'elle y avait plongé pour en finir et la frustration d'assister à la vie des siens sans pouvoir intervenir, on ne pouvait dire qu'elle avait souffert véritablement de cette expérience, comme elle l'avait elle-même avoué à Leiji, ça avait plutôt été le contraire, presque enrichissant. Alors que pour la rôdeuse... Elle essuya avec vitesse et force les larmes qui roulaient sur ses joues, presque dégoutées de celles-ci. May pensait connaître Leiji sur le bout des doigts... Comme elle s'était trompée...

L'idée de la revoir lui parut soudain infernale, comment pourrait-elle lui demander son aide après tout ceci? Comment faire comme si de rien n'était si les faits étaient encore si présent dans son esprit? Tremblante, elle referma le carnet pour de bon et s'approcha de la fenêtre. Ayalee l'attendait patiemment, tournant et retournant sa dague entre ses doigts. Poussant un profond soupir elle quitta la pièce, le carnet dans la main et rejoignit l'assassine devant les grilles. Il était bien inutile de fuir encore une fois, alors elle prit le parti d'affronter sa honte, avec cette raison supplémentaire d'aller les trouver, car au fond, il n'y avait pas qu'à Leiji qu'elle devait des explications...

Elles marchaient côte à côte depuis maintenant près de deux heures, d'un pas régulier, ni trop pressé, ni trop lent. Pour une personne de sa formation, cela n'avait rien de dérangeant, c'était plutôt banal et l'assassine s'en accommodait très bien. La route lui semblait interminable, et bien qu'elles suivaient le même chemin qu'elle quelques heures plus tôt, l'impression de confinement ressentie du fait de l'abondant feuillage des arbres immenses et innombrables la mettait relativement mal à l'aise, mais de ça aussi, elle pouvait très bien s'accommoder. La chose qui la dérangeait particulièrement à cet instant était le silence complet de Maylanee. Un silence d'autant plus troublant que le visage figé qu'elle arborait depuis leur départ ne laissait rien transparaitre quant au sujet de ses pensées. Ayalee était habituée à traiter avec des mercenaires, avec des soldats de carrière, des politiciens et autres personnalités pour qui le mot "sourire" semblait avoir été banni depuis une éternité. Mais venant de May, c'était bien différent, et même inquiétant. Alors, fronçant les sourcils, les muscles si tendus qu'on l'aurait crue prête pour un duel, elle se décida à ouvrir la bouche. ... Simplement ouvrir la bouche, engager une conversation était un exercice encore trop élaboré pour elle.

"Vous paraissez tendue."

Instantanément, l'assassine se mit à rougir, baissant la tête par réflexe. Après coup, son intervention lui semblait un brin trop familière.

"Je le suis oui."

La Templière continuait de fixer la route qui s'étendait devant elle, Aya quant à elle, tentait de capter son regard mais sans trop de succès.

"Si je peux vous apporter une aide..."

"C'est toi qui l'a posé sur le bureau n'est-ce pas? Ce petit carnet, tu l'as posé là pour moi, c'est cela?"

"J'ai pensé qu'il vous serait d'une utilité quelconque..."

"Comment te l'es-tu procuré?"

"Un accident. Dans ma précipitation je l'ai confondu avec cet objet dont je vous parlait plus tôt, il est tombé de ma ceinture... L'agitation."

"D'accord. Et tu l'as lu?"

"J'ai parcouru les premières lignes, je me suis arrêté au moment où j'ai réalisé de quel type d'ouvrage il s'agissait."

Ce fut alors au tour de Maylanee de rougir.

"Je voulais juste savoir ce que c'était... Et puis... Quand j'ai compris que c'était son journal je... Je voulais juste savoir si elle pensait à moi malgré le temps et la distance, je voulais juste savoir si j'étais toujours sa May, son Miou... Je sais, c'était purement égoïste. Et c'est surtout ce que j'ai retiré de toutes ses phrases... Elle m'en veut, mais sans vraiment m'en vouloir, par obligation, par dépit, par lassitude je ne sais pas... Je ne savais pas Aya! Je n'ai pas réfléchi! Tu le sais toi que je n'ai pas réfléchi! Que je ne réfléchis jamais quand il faut! Je ne voulais faire de mal à personne, juste me soulager. Je voulais simplement être tranquille. Tu me crois toi hein?"

La tristesse se mêlait à la pitié sincère dans les yeux d'Ayalee. Maylanee paraissait plus perdue et paniquée au fur et à mesure qu'elle exprimait son angoisse. Cependant, Ayalee n'était pas douée pour réconforter. Après tout, ça ne faisait pas non plus partie de sa formation. Elle se contenta donc de garder le silence, jouant néanmoins avec ses dagues, sa nervosité à peine dissimulée.

"Je ne veux pas qu'elle me déteste... Pas elle. Pas eux. Mais j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, encore et encore, je ne parviens ni à prévoir les évènements, ni à trouver la manière dont je dois présenter tout ça. Je dirais quand même qu'au fond, ce qui m'arrangerait le plus ce serait des les trouver tous là, fermés, froids... Avec une rancune palpable... Ce serait plus simple comme ça non? Comme ça je n'aurais pas à exp..."

"Ce serait lâche. Et vous les blesseriez une nouvelle fois, par les mêmes moyens. Pourquoi nous rendons-nous là-bas si vous comptez fuir à nouveau? Je comprends le doute qui vous habite, mais vous ne pouvez décemment pas espérer être fixée si vous vous défilez sans cesse, à la moindre contrariété. Nous faisons tous du mal autour de nous, et la part de blessures que nous infligeons sans en avoir conscience sur le coup est plus que conséquente. Mais ce n'est pas sur ce critère que nous sommes jugés. C'est sur notre capacité à admettre nos fautes et sur la sincérité de notre repentir, la force de nos remords et les actions que nous entreprenons pour réparer le mal fait. C'est cela qui est compté lorsqu'autrui dresse notre portrait. Mais vous..."

"Je ne suis pas une lâche... Je ne suis plus une lâche..."

Ayalee s'était arrêtée lentement, l'index pointé vers la bâtisse qui se dressaient devant elles, à moins de soixante pas de là.

"C'est en effet la manière dont je vous perçois Dame. Il ne tient qu'à vous de les en convaincre à présent."

C'était curieux. Il y avait cette attente du combat qu'elle savait fort proche, comme si quelqu'un lui murmurait à l'oreille que ce dénouement là était à portée de main. Elle savait en elle-même que ce n'était pas son esprit impatient qui s'emballait, mais une tension dans l'air, quelque chose de non palpable mais néanmoins présent qui lui indiquait que c'était pour bientôt. Et elle était impatiente oui. Cassandra leur avait fait déjà tellement de mal qu'elle comptait bien faire son possible pour appliquer la loi du talion. Ça, et le fait qu'elle ne pouvait décemment pas tourner la tête et attendre que les autres se battent. Elle en avait les capacités, elle allait les utiliser pour aider au mieux à se débarrasser de Severin et de ses généraux.

Ce qui était curieux, c'était de se retrouver de nouveau dans sa petite chambre à la taverne. Marcher dans la forêt l'avait tiraillée, à tous points de vue. Revoir Falkhen et Sawyer, c'était bon mais douloureux. Trop court, et trop en même temps au vu de l'issue incertaine de la bataille. Mais partir, c'était aussi les laisser avec possiblement deux assassins sur les bras, et au plus elle s'enfonçait dans la forêt, au plus cette pensée se faisait forte et attisait son inquiétude. Elle savait Falkhen fort, mais avait-il continué à s'entrainer et à se perfectionner après ce qui était arrivé à Haven ? Et puis il y avait ces deux objets dans son cube : une dague finement ouvragée et une boite à musique abimée. Elle était certaine que l'assassine reviendrait pour la boite, elle avait vu son regard.

Elle s'arrêta, totalement. L'inquiétude était trop forte, elle n'aurait même jamais du quitter cette taverne en premier lieu. Elle se retourna, fit un pas en avant, s'arrêta de nouveau. Si l'assassine Élyséenne pourrait se faire berner et être attirée ailleurs, ce n'était pas le cas de l'asmodien. Pour autant, elle ne pouvait pas passer son temps à surveiller. Devait-elle alors faire un choix entre les Atréides et Shin ? Elle poussa un profond soupir et reprit sa route. Direction la taverne. Au moins quelques heures se dit-elle, pour s'assurer que tout allait bien. Mais ça ne l'empêcha pas pour autant de se sentir coupable, d'avoir l'impression d'abandonner Shin.

Les alentours de la taverne étaient aussi calmes que quand elle en était partie constata t-elle, dissimulée derrière un arbre. Elle resta un moment ainsi, surveillant ce qu'il se passait, soigneusement camouflée. Et puis, elle décida qu'elle serait un peu plus rassurée si elle savait qu'aucune attaque n'avait eu lieu pendant son absence. Alors prudemment, aussi discrète qu'une ombre, elle se glissa de nouveau par la fenêtre de sa chambre et tendit l'oreille. Il n'y eut d'abord pas de bruit, et puis un pas lourd se fit entendre dans les escaliers, accompagné de deux voix conversant. Elle trouva refuge à moitié derrière le lit, à moitié dessous, priant Aion pour qu'ils ne décident pas d'inspecter la pièce. La pression se relâcha alors qu'ils passaient devant la chambre et elle se surprit à sourire doucement, soulagée. De retour à la fenêtre, elle observa les environs, sans rien apercevoir de plus que tout à l'heure. Elle attendit un moment, tendant toujours l'oreille aux divers bruits de la taverne, et finissant par sauter de la fenêtre quand des pas se firent de nouveau entendre près de sa porte. C'était juste, mais elle ne pensait pas avoir été vue. Elle reviendrait les voir quand tout serait fini, pas maintenant.

A la place, elle retourna à son point d'observation précédent, derrière un arbre en bordure de forêt dont le tronc était en partie camouflé par de hauts buissons. Elle n'eut pas longtemps à attendre avant que du bruit derrière elle ne la fasse se retourner, s'accroupissant encore plus pour ne pas se faire voir. Une branche lui érafla la joue dans le mouvement, réveillant son ecchymose haute en couleurs. Elle allait avoir le visage tuméfié pendant quelques jours encore, fichus assassins. Grimaçant à moitié, elle se força à reporter son attention sur les personnes arrivant au village. Elles n'étaient pas assez près pour qu'elle puisse entendre ce qu'elles disaient, mais en écartant la branche qui lui bouchait partiellement la vue, elle pu les reconnaitre plus ou moins aisément.

Enceinte presque jusqu'aux dents, de longues boucles noires, une posture typiquement elle... Elle en resta une seconde bouche bée, se demandant ce qu'elle pouvait bien faire ici. Et puis son regard dévia sur la personne l'accompagnant. Cheveux blancs, courts, dagues en main. Elle était encore loin, et elle même pas toujours très physionomiste, mais elle était sûre que c'était l'assassine de la veille. Assassine qui pointait actuellement son doigt vers la taverne tout en parlant. Sa réaction se fit immédiate, instinctive. Son geste fut dicté par sa formation de mercenaire et poussé par la crainte que son amie ne soit en danger : elle arma sa dague, et aussi précisément que possible la lança droit sur celle qui était venue l'attaquer.

Un flash. Juste un éclair. Elle tourna instinctivement la tête en direction de la furtive source de lumière et eut tout juste le temps d'écarter Maylanee de ses deux mains, le projectile venant se ficher dans un bruit sourd juste sous la clavicule.

Ayalee?!

D'un geste sec, elle lui intima de garder sa position, arrachant d'une main la dague plantée dans sa chair. Son regard mélancolique avait disparu sur le coup, laissant place à des yeux qui ne réflétaient plus qu'une seule chose, le désir de tuer. Maylanee cherchait à voir d'où provenait l'arme, plus inquiète pour son second que pour elle-même, les doigts crispés sur son épée qui ne la quittait pas malgré sa situation. Elle ouvrit la bouche pour s'enquérir de l'état de l'assassine mais celle-ci écartait déjà avec violence le moindre fourré sur la trajectoire probable de l'arme, une dague dans chaque main, débutant chaque nouvelle investigation par un coup puissant et rapide dans l'arbuste.

MONTRE-TOI!!! hurla-t-elle, fulminante, les yeux luisants de rage tels des braises.

La templière, elle, avait ramassé l'arme ensanglantée laissée au sol et la détaillait scrupuleusement, d'un air intrigué. Elle ne comptait plus le nombre de dagues qu'elle avait pu voir défiler durant toute son existence mais étrangement, celle-ci lui paraissait familière. Les sourcils froncés, les yeux plissés, elle se remit à scruter les environs pendant qu'Ayalee massacrait allègrement le moindre petit coin de verdure qui pouvait s'apparenter à une cachette. Soudainement, elle perçut un léger froissement derrière un arbre imposant, non loin de Maylanee. Son sang ne fit qu'un tour. Leur adversaire devait être rompu à l'art du camouflage et de la furtivité pour qu'aucune d'elles ne l'ait senti se déplacer si rapidement. Et apparemment, ce n'était pas après elle qu'il en avait, sa cible était Maylanee. Elle avait foi en ses compétences d'assassin, mais dans l'incapacité de prévoir les réactions de l'assaillant ou même celles de la templière, Ayalee se résigna à garder ses lames en main, courant aussi vite que ses jambes le lui permettaient en direction du gros arbre.

Ayalee attends! J'ai trou...

DEGAINEZ!! IL EST JUSTE A COTE!!

Elle crut apercevoir au même moment ce qu'elle prit pour un morceau de tissu rouge cuivre, sans doute une partie de l'armure de celui qui tentait d'éliminer son général. Se fichant totalement de ce qu'elle trouverait sous elle à son aterrissage, elle bondit sur sa cible, empoignant avec force ledit tissu qui se révéla être... Les cheveux de Leiji. Ouvrant de grands yeux, l'assassine lâcha immédiatement prise et recula rapidement, aussi stupéfaite que honteuse alors que Maylanee, presque affalée contre l'arbre, riait aux éclats devant la scène.

Tu ne m'écoutes pas! J'allais te le dire! Cette dague, je sais où je l'ai déjà vue! Mais je n'ai plus besoin de te le préciser je crois!

Grandement soulagée cependant, la jeune femme se redressa et tendit le bras à son agresseur-amie pour l'aider à se relever.

Tu me crois si je te dis que j'imaginais ça autrement?

Elle fixait Leiji avec ce sourire doux et franc qui la caractérisait si bien, ne laissant rien paraître des violents flots d'émotions déferlant dans sa tête à cet instant.

Ayalee quant à elle, les observait en silence, à la fois réjouie et anxieuse. Anxieuse pour son trésor, réjouie d'avoir une raison supplémentaire de provoquer la rôdeuse en duel singulier, si bien sûr elle acceptait. La douleur sous son épaule la tira de ses pensées et elle réprima une grimace. La plaie saignait assez mais il ne semblait y avoir aucune trace de poison. C'était sans doute normal pour le coup, il ne s'agissait plus d'une agression ou d'une tentative d'assassinat comme elle l'avait pensé, mais plutôt d'instinct ou de vengeance, allez savoir. Machinalement, Aya se tourna vers la taverne, levant la tête en direction de la fenêtre par laquelle elle s'était introduite l'autre soir. Mentalement, elle revécut la scène dans son intégralité: le combat silencieux, l'arrivée de l'asmodien, et ces mots qui l'avaient paralysée cette fois-là: "Je te connais". A l'heure actuelle, elle devait avoir fait le rapprochement et ne tarderait pas à exiger, avec raison, des explications solides sur ses agissements. Mais ce n'était pas le moment pour elle de s'expliquer. Quelqu'un semblait avoir sur le coeur bien plus de choses à libérer qu'elle en ce moment. Elle attendrait. Désormais, elle en avait tout le temps.

Au moment où elle lança sa dague, quelque chose la déstabilisa et dévia légèrement sa trajectoire. Elle regarda avec horreur la lame se diriger vers Maylanee, puis avec soulagement s'enfoncer dans le dos de l'assassine. Le geste de protection qu'elle avait effectué la laissait néanmoins perplexe. Sauf si elle avait besoin de son amie vivante. Intriguée malgré tout, elle la regarda retirer l'arme de son dos et s'escrimer sur les premiers buissons en hurlant. Malgré elle, elle eut un mouvement de recul, s'enfonçant plus profondément dans les buissons pour se camoufler. D'une main, elle chercha à atteindre la dague de l'assassine dans son cube pour ne pas être totalement désarmée, alors qu'elle gardait l'autre en protection.

Quand le manche de l'arme entra en contact avec sa main, elle se redressa et écarta légèrement la branche devant elle pour surveiller la scène. Son objectif était toujours de protéger May, et pour cela, elle devait l'écarter de l'autre Elyséenne.
" Ayalee attends! J'ai trou... "
" DÉGAINEZ!! IL EST JUSTE A COTE!! "
Un réflexe lui fit rentrer sa tête dans ses épaules et mettre un bras en protection, tandis que de l'autre elle raffermissait sa prise sur la dague et dirigeait rapidement vers l'avant. Elle manqua sa cible alors que quelqu'un lui empoignait les cheveux avec force. La douleur lui fit pousser un grognement sourd et le mouvement relâcher sa grippe sur son arme. Ça ne l'empêcha pas de regarder furieusement celle qui l'avait débusquée. Une seconde plus tard, elle s'était reprise et allait riposter comme elle le pouvait en étant au sol, mais déjà l'assassine s'était écartée et affichait un air bizarre.

Ce qui la dissuada de se relever et de lui bondir dessus, ce fut Maylanee. Ce qu'elle voyait dénotait complètement avec l'idée qu'elle se faisait de cette situation. Son amie riait, parlait avec légèreté, et semblait parfaitement à l'aise. Elle se laissa relever tandis qu'elle analysait ses paroles tout en gardant un regard sur l'assassine. Ayalee... May l'avait appelée ainsi, Ayalee. Ayalee comme celle qui était son second quand elle était général se souvint-elle. Mais cette Ayalee était morte... Non ?

Son regard se durcit nettement, sa main resserra l'arme ostensiblement. Elle ne demandait rien de mieux que de lui rendre sa dague avec toute la courtoisie possible des combattants. Sa joue l'élançait, mais ça n'était qu'un détail au vu de la situation. Sans quitter l'assassine des yeux, elle s'adressa à May.
" Tu imaginais quoi au juste ? "
Sans doute qu'à ce moment, Gahiji aurait été fier d'elle. Sa voix reflétait la dureté de son visage et elle était tendue et plus que prête au combat. Tout cela ne lui plaisait pas du tout, et elle ne comptait pas relâcher sa garde tant que celle ayant voulu la tuer serait dans les parages.

"... ... Meuh... Pourquoi tu t'énerves?"

Question idiote, elle avait toutes les raisons de s'énerver après ce qui venait de se passer. Après ce qui s'était déroulé quelques jours plus tôt également. Et ce serait pire lorsqu'elle prendrait conscience de l'entièreté des circonstances. Il lui fallait donc trouver autre chose.

"Pour le coup tu joues parfaitement ton rôle dans mon scénario prévisionnel. Tu boudes, tu grognes, toute mimie avec ta petite dague et tes cheveux décoiffés, la petite teigne dans toute sa splendeur!"

Ça c'était un coup à soit, se faire gifler et tancer copieusement, soit se faire totalement ignorer et se retrouver là bêtement, alors que la rôdeuse filerait avec force colère vers la taverne. Leiji détestait plus que tout les pointes d'humour déplacées, autant que les railleries stupides lorsqu'elle estimait avoir toutes les raisons d'être contrariée. Il fallait oublier ça aussi.

Alors, sans se départir de son sourire, elle se mit à lui détailler la scène telle qu'elle s'était déroulée dans son imagination.

"Je dois d'abord te dire que je pensais mettre beaucoup plus longtemps à arriver, tu me connais hein, avec mon superbe sens de l'orientation j'avais misé sur trois jours d'errance! Regarde! J'avais même prévu les provisions pour!", enchérit-elle en ouvrant un énorme panier posé non loin, rempli à ras bord de victuailles aussi nécessaires que du lait chaud en plein désert, mais qui pour elle demeuraient capitales.

"Heureusement je n'étais pas seule, Aya est bien plus douée que moi et la route ne fut finalement pas si longue. Mais je m'écarte du sujet. Je m'étais imaginée pousser la porte de la taverne, comme la première fois que j'y suis venue, toute couverte de plates et bien dissimulée sous mon casque mais... J'avais un peu de mal à rentrer dans mon armure hihi. Du moins, moi j'y entrais mais la petite ne l'entendait pas de cette oreille! Alors j'ai supprimé ça du scénario aussi. Donc, je poussais la porte et vous étiez tous là! Comme avant! C'était en fin de journée, Sawyer essuyait ses verres avec passion derrière son comptoir reluisant, Falkhen parlait avec animation, la bouche à moitié pleine... Ou à moitié vide... Je ne me rappelle plus... Bref! Il mâchait et parlait tout à la fois, devant une immeeeeeense assiette de viande et de légumes, et ça sentait si boooon! Même depuis l'extérieur! Je me calme, je me calme. Ruby l'écoutait parler, ses yeux étaient si brillants que j'imagine que la discussion tournait autour des daevas ou bien de recettes de cuisine secrètes! Je penchais plus en faveur des recettes à vrai dire, quand on lui parle de daevas, Ruby est toute figée en général, émerveillée mais tétanisée! Alors que là, sa queue s'agitait frénétiquement, tu sais? Je ne voyais que ça pour ma part. Et il y avait Teseus aussi, je crois qu'il apprenait des tours à un esprit de terre qui ressemblait à un furcifer... Et puis Haven assise à la table du fond, Shairya assise entre ses genoux, et elle la coiffait avec tendresse et son beau sourire... Je sais bien que c'est impossible mais je le souhaitais tellement fort que je n'ai pas voulu l'effacer de mon scénario idéal. Alors j'entrais, discrètement hein, j'avais un peu peur je t'avoue, d'autant que dans la pièce toi tu n'étais pas là, et ça m'angoissait un peu. Et juste quand j'allais ouvrir la bouche pour dire un beau "Bonjour", pouf! On me pousse dans le dos et je trébuche presque! Mais la personne qui me pousse me retient immédiatement de tomber et me sourit lorsque je tourne la tête. Et là c'est toi... Après je n'ai pas réfléchi à la suite, mais je projette d'aller piocher dans l'assiette de Falkhen ça c'est sûr! Et tu penses que..."

Maylanee s'arrêta net, un air embarrassé imprimé sur le visage et un sourire gêné lui déformant les lèvres dans une étrange grimace. Elle avait peine à regarder Leiji dans les yeux et ne l'avait pas fait une seule fois durant toute sa tirade. Son coeur battait encore une fois si fort qu'elle s'attendait à le voir jaillir de sa poitrine à tout moment. Elle n'avait pas encore abordé le sujet concernant Ayalee, pourtant, elle avait bien compris à la façon dont la rôdeuse fixait cette dernière depuis un moment qu'elle attendait des éclaircissements.

"Tu... Tu te souviens d'Ayalee? Elle..."

Marquant un temps d'arrêt, elle tourna la tête, cherchant à capter le regard de l'assassine au moment où celle-ci, intriguée par ce silence soudain, s'approchait pour s'enquérir de la situation. Voyant Maylanee ainsi angoissée et perdue, car c'était le cas, elle l'encouragea d'un simple geste de la tête, que May n'eut aucun mal à interpréter. Prenant une grande inspiration, elle osa plonger son regard dans celui de Leiji et prononça clairement:

"C'est moi qui te l'ai envoyée l'autre nuit."

La situation lui échappait totalement, et elle détestait ça. Et à vrai dire, Maylanee ne faisait rien pour arranger les choses. Si toute son attention n'était pas concentrée sur l'assassine, elle l'aurait sans aucun doute foudroyé du regard. Non seulement la situation ne se prêtait pas à la rigolade, mais en plus son amie se fichait ouvertement d'elle. Vraiment, à l'instant, elle mourait d'envie de lui apprendre qu'elle n'était pas 'toute mimie' avec sa dague. Mais voilà, Maylanee ne faisait pour le moment que débiter quelques paroles sommes toutes inoffensives, alors que l'autre femme pouvait être autrement plus dangereuse. Alors elle laissa dire, ne souhaitant d'une part pas se lancer dans une dispute qui ne lui donnerait pas de réponses, et d'autre part parce que la brune enchainait toute seule.

Elle ne regarda pas le sac qu'elle lui présentait, sans doute plein à craquer de cochonneries. Elle se contenta de continuer à fixer l'assassine, ses muscles tendus commençant à protester sous cette immobilité. Elle se força à ne pas se laisser distraire quand May lui dessina sa vision de la taverne. Elle savait que si elle se laissait aller, elle n'aurait aucun mal à visualiser la scène et à la ressentir. Mais même en se concentrant sur ce qui était important à l'instant, en essayant dur de ne pas succomber, elle ne put empêcher une certaine nostalgie de s'emparer d'elle. C'était malheureusement quelque chose qui ne se reproduirait jamais plus... Rapidement cependant, la douleur des êtres manquants se mua en colère envers son amie pour lui rappeler que les choses ne seraient plus jamais ainsi. Colère sans doute déjà présente de par la situation. Mais là encore, elle prit sur elle et ne desserra pas les lèvres, tandis qu'elle n'eut aucune peine à garder son visage aussi dur que précédemment.

Et puis une réponse partielle à la question qui la hantait depuis l'attaque tomba. Il lui manquait encore de savoir les motivations derrière cet ordre, mais elle savait désormais qui était derrière ceci. Son amie. Sa meilleure amie même avait voulu l'assassiner. C'était une nouvelle difficile à digérer, et si elle ne tourna pas la tête pour la dévisager bouche bée, se fut uniquement parce qu'elle était trop figée pour le faire.

Son visage perdit sa stupéfaction petit à petit pour n'afficher graduellement plus que de la neutralité. Elle se sentit redevenir la mercenaire qu'elle était, reléguant la douleur de cette trahison dans un coin de son esprit. Traiter les faits efficacement, c'était ce qu'elle devait faire à présent. Et puisque la situation n'était pas en sa faveur, elle allait devoir attendre qu'une occasion ne se présente tout en ne perdant pas du terrain.
Elle ajusta la dague dans sa main, ignorant la crispation de ses muscles tendus depuis trop longtemps et se déplaça doucement sur le côté pour avoir les deux femmes dans son champ de vision. Se retrouver dans l'herbe plutôt que dans les fourrées la fit se sentir tout de suite mieux. Un désavantage de moins.
" ... "
Elle attendit, mais ni l'une ni l'autre ne semblaient bouger, guettant ses mouvements sans pour autant réagir. Sans doute pouvait-elle tenter sa chance alors.

Tourner le regard fut difficile, parce que tout son être lui criait de garder les deux femmes dans son champ de vision. Et pourtant elle le fit, se retournant même complètement puis avançant. Un pas après l'autre. Néanmoins, malgré l'indifférence qu'elle pouvait montrer, pas à un seul moment ses sens ne se relâchèrent, la gardant ainsi prête à parer toute attaque.

"Attendez."

L'assassine avait interpellé Leiji d'une voix assez forte, pourtant dénuée de toute agressivité, ce n'était pas un ordre qu'elle intimait là mais un sursis. Devant la méfiance et la tension presque palpable de la rôdeuse, Ayalee prit sur elle et leva les mains au ciel, les exposant clairement et laissant par la même ses armes tomber sur le sol. Le geste était clair et amplement explicite: cette fois-ci, elle n'était pas venue l'affronter. Elle comprenait cependant avec aisance la réaction de la jeune femme, après deux actes d'agression à peine espacés de quelques jours, elle aurait sûrement agi de même. Non. Se connaissant, les choses auraient été pire, dans ce genre de situation, les explications n'arrivent qu'en second plan. Mais ici, il y avait un élément de plus, un détail qui pouvait aussi bien balayer des doutes qu'éveiller un ressentiment féroce, et ce n'était pas à elle de lever le voile. Consciente du caractère délicat d'une telle entreprise, l'assassine essayait toutefois de gagner du temps, non pas pour elle, mais pour que la templière encore bloquée par une réaction qu'elle n'avait pas vraiment envisagée se décide à faire face à son amie, bien que celle-ci lui donnait le dos, pour en finir définitivement avec ce malaise qui au final, n'avait vraiment pas lieu d'être.

"Les raisons ayant conduit à mon intervention n'ont-elles aucune sorte d'importance à vos yeux? Ou peut-être estimez-vous qu'il s'agit là d'une quelconque fantaisie absurde et n'y prêtez aucune foi? Libre à vous d'en tirer les conclusions qui vous satisferont, libre à vous de juger et d'agir en conséquence mais voulez-vous vraiment le faire alors qu'au fond vous ignorez totalement de quoi il en retourne? Pourquoi ne pas écouter ce qu'elle a à vous dire avant tout?"

Sa voix était neutre et calme comme toujours, monocorde. Elle s'était approchée de Maylanee tout en parlant, pour la pousser en douceur vers Leiji. Cette dernière bien qu'encore hésitante, avançait néanmoins, jouant nerveusement avec ses doigts ainsi qu'elle avait coutume de le faire lorsqu'elle s'apprêtait à se lancer dans une argumentation solide. Argumentation. Le mot était peut-être mal choisi surtout qu'il s'agissait seulement de justifier son choix de méthode. Alors, sans même attendre une quelconque réaction de la part de Leiji, elle s'engouffra dans l'ouverture que son bras droit venait de lui offrir.

"Il y a bien longtemps déjà, alors que nous étions encore toutes deux de jeunes Sokaniennes, je t'ai expliqué la signification de cette marque sur mon visage. Tu t'en souviens? Ce jour-là, tu m'as fait part de ton profond dégoût pour tout ce qui avait trait à l'occulte, aux énergies mystérieuses et malsaines, bref, tout ce qu'il pouvait y avoir de sombre et maléfique dans les rituels humains. Pourtant... Tu t'apprêtes à t'y jeter toute entière, comme une aveugle, pour une cause que je ne peux te reprocher, loin de là, mais face à un danger auquel tu n'es pas préparée. Tu es la femme la plus têtue que j'ai pu rencontrer Leiji mais jusqu'ici, du moins, depuis que je te connais... Que je pense te connaître... Jamais je ne t'ai vue te jeter de la sorte dans une bataille que tu sais d'ores et déjà perdue. Je conçois parfaitement que ton âme de mercenaire t'impose tout autant de choses que ton coeur de femme, mais depuis quand l'emportent-ils sur ta raison? Tu as refusé de m'écouter jusqu'ici, j'ai épuisé tous les arguments en ma possession pour te dissuader mais il semblerait que je n'ai fait que te pousser à rejoindre le bataillon. Alors... Alors j'ai voulu te persuader par la force... Tu me connais bien Leiji, je serais venue moi-même si j'étais en état de le faire, malheureusement, pour les raisons que tu sais, cela n'a pas été possible, j'ai donc envoyé Ayalee pour te tester, puis te dissuader par tous les moyens nécessaires. Elle n'avait pas ordre de te tuer, simplement de t'aider à faire le bon choix. Si tu avais perdu face à elle, je serais montée à l'instant pour te présenter la preuve irréfutable de l'écart de puissance entre Cassandra et toi, te menant par la même à abandonner cette folle idée par toi-même. Et au cas où tu n'aurais pas plié face à son assaut, je lui avais ordonné de te rendre inapte au combat: te briser un bras, une jambe, n'importe quoi pour t'empêcher d'y aller. Mais tout ne s'est pas déroulé comme nous l'avions prévu... C'était ma dernière carte Leiji, mon dernier espoir de te préserver. Mais cela aussi a échoué alors je suis venue jusqu'ici pour tout expliquer. Je ne suis pas ici pour implorer ton pardon, ni te demander d'accepter ma démarche, simplement de la comprendre, de voir en cet acte l'ultime recours d'une femme pour préserver une amie chère d'une mort inéluctable, car c'est bien ce qui t'attend là-bas Leiji. Je suis également venue te remettre ceci, Ayalee me l'a apporté à son retour, il semblerait que vos deux biens aient été intervertis durant votre combat. Je... Je ne l'ai pas gardé fermé tout ce temps... Et à ce sujet aussi j'ai des choses à dire mais la situation actuelle ne s'y prête pas. Voilà. A présent tu es seule juge, je ne t'ai rien caché, je n'ai rien omis. Sache juste que je ne me sens pas coupable, aussi osé ou arrogant que cela puisse te paraître, j'assume cette décision et je prendrais la même si le choix m'était à nouveau offert. Je m'en voudrais bien plus de te laisser courir vers une mort certaine sans agir que te blesser même gravement pour t'en écarter..."

May avait fini par rejoindre la rôdeuse qui s'était arrêtée sans pour autant se retourner aux mots d'Ayalee. Posant soigneusement le carnet en équilibre sur son épaule, elle demeura à cette place, attendant simplement de voir de quelle manière Leiji répondrait ce coup-ci.

Le carnet posé sur son épaule semblait peser une tonne. Trop lourd de révélations, trop lourd de conséquences aussi. Les phrases de Maylanee tournaient sans relâche dans son esprit, et pourtant rien ne semblait retenir véritablement son attention. Sur quoi aurait-elle du rester concentrée de toutes façons ? Sur le fait que son amie avouait clairement ses actions ? Que son attaque n'avait de seul but que de la forcer à s'écarter du combat ? Qu'elle avait lu son carnet ?

Le silence s'éternisait, alors qu'elle ne savait toujours pas comment gérer ce qu'elle ressentait. Ou ne ressentait pas. Peut-être le problème venait de là. Toute sensation semblait désormais glisser au dessus d'elle, ne la laissant que vide et déconnectée Elle savait qu'elle devait être blessée, en colère, touchée ou frustrée ou n'importe quoi d'autre, mais rien ne s'accrochait. Elle souhaitait juste marcher de nouveau droit devant elle, parce que si les paroles avaient été correctement entendues, elles n'arrivaient pas à susciter quoi que ce soit pour le moment. Et pourtant, elle ne bougea pas, gardant ses deux pieds fermement plantés dans le sol. Parce qu'elle savait que si elle partait, elle tournerait définitivement le dos à leur amitié, ou ce qu'il en restait. Et même si cette pensée la laissait aussi froide que du marbre, elle ne pouvait se résigner à mettre un pied devant l'autre et avancer.

Une bourrasque de vent les surprit, faisant voler ses cheveux, tressaillir ses muscles et tomber à terre le carnet. Son regard le suivit, l'examinant avant de se pencher pour le ramasser. Dans sa main, il semblait beaucoup plus léger, beaucoup plus insignifiant. Sans prévenir, d'un geste vif, la dague mordit dans les pages de parchemin, éventrant le carnet. Puis elle le laissa retomber à terre et se retourna.

L'assassine fut la première qu'elle regarda, s'attendant à ce qu'elle ait une quelconque réaction envers elle. Mais elle ne bougea pas. Alors ses yeux continuèrent leur route jusqu'à croiser les verts de son amie. Elle se sentit frémir, sans pour autant l'arracher au vide qu'elle ressentait. Et si les mots semblèrent sortir tout seuls de sa bouche, ils n'en restèrent pas moins froids et impersonnels à son oreille.

" Tu as lu les réponses aux questions que tu te poses, je n'ai rien d'autre à ajouter à ça. Peut-être que c'est irrationnel et suicidaire, mais c'est comme ça. Je ne demande à personne d'approuver, encore moins de me suivre. "

" Mais si tu tiens tellement à m'en empêcher, voilà ta dernière chance. " ajouta t-elle finalement, en lui tendant le manche de la dague.

Elle avait beau avoir retourné le problème dans tous les sens, il n'y avait pas d'action qui lui convienne. Quoi qu'elle fasse, elle perdait après tout... Et aucune des solutions semblait moins pire que les autres.

"Mais....May....May....mais z'est Maylanee !!! Maylanee rhoooo " dit une voix sortie de nulle part, suivit rapidement par des bruits de courses en leur direction.

Ruby accourait sur la petite route qui menait à l'auberge de l'Astre, ses yeux d'or brillant de mille feux, un sourire radieux sur son doux visage pelucheux. Ses bijoux d'argent tintaient à qui mieux mieux dans sa course effrénée. Elle courrait aussi vite que ses petites pattes de shugo le lui permettaient ainsi que le lourd panier d'osier qu'elle portait.

Comme tous les jours, elle s'était rendu au marché, chercher les meilleurs victuailles pour la cuisine de Sawer. Elle rentrait l'esprit joyeux et le cœur en fête, ses papilles et ses moustaches frémissant d'avance des bons petits plats qu'elle préparerait pour ses amis et les clients de l'auberge mais également pour elle même.

Au détour d'un virage du petit chemin de terre, elle aperçu les silhouettes de femmes devant elle, reconnu bien entendu tout de suite Leiji et sa chevelure rouge, sans bien comprendre son attitude, elle ne reconnut pas du tout la jeune femme aux cheveux roses, mais son instinct lui dit que la troisième silhouette ne lui était pas inconnue, même si aux premiers abords, ses rondeurs la trompèrent.

Quand enfin son petit cerveau de shugo lui fit faire les connexions nécessaires, elle reconnu son amie Maylanee et en fut bouleversée de joie. A tel point qu'elle ne laissa tomber sur le sol un délicieux fruit qu'elle était en train de manger sur la route. Faire les courses ça creuse. Et la voilà partie à toute allure pour rejoindre son amie qui lui avait tant manquée.

Loin de s'imaginer tout ce qui se tramait ici entre les femmes devant elle.

Les questions fusèrent dans son esprit presque aussi rapidement que le doute qui l'assaillit en voyant Leiji lui tendre ainsi sa "solution" au différend qui les opposait en cet instant. Le message était clair et ne laissait de champ à la moindre contradiction: rien ni personne n'empêcherait la rôdeuse de rejoindre Naarayah pour affronter Cassandra, pas même elle. Mais cette dague tendue, cette invitation à en découdre à l'instant même, bien que la tétanisant en grande partie, lui apparaissait le temps de quelques secondes comme la meilleure chose à faire: si Leiji tenait tant que ça à mourir, ne valait-il pas mieux que ce soit de sa propre main? La templière fronça les sourcils, en colère contre elle-même. Le but n'était pas d'empêcher son amie d'aller se faire tuer par telle ou telle personne, le but était qu'elle ne meure pas du tout.

Elle allait ouvrir la bouche pour lui répondre lorsqu'un tintamarre métallique lui fit tourner la tête. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant une dame shugo un brin familière débouler d'un talus, ses petites pattes foulant le sol à grande vitesse et sa démarche rendue bancale par un grand panier qu'elle portait au bras.

"R-Ruby?!"

Son premier réflexe fut de se placer juste devant Leiji, afin de lui permettre de dissimuler sa dague et d'éviter que Ruby ne s'inquiète réellement de la tournure que venait de prendre la situation entre les deux femmes. Puis, posant doucement les genoux à terre, elle ouvrit les bras pour y accueillir le petit bout de shugo qui accourait à toute vitesse en leur direction et l'étreignit avec toute la tendresse que pouvait justifier des années d'absence, le nez enfoui dans cette douce et chaleureuse fourrure qui immédiatement, fit resurgir des souvenirs aussi joyeux que parfumés.

"Si je m'étais attendue à te trouver ici...", dit-elle à voix basse.

Le tintement rythmé de la bague d'argent posée à l'extrémité de la queue de Ruby la fit sourire et elle recula légèrement la tête pour mieux regarder son amie en peluche. Les petites perles dorées qui ornaient sa frimousse pleine de vie et le petit museau qui s'agitait à l'affut de la moindre fragrance eurent raison de la contenance que Maylanee gardait jusque là, fortement entamée déjà par sa conversation avec Leiji quelques minutes plus tôt et le geste lourd de sens que Ruby venait d'interrompre. Sans qu'elle puisse les retenir ni les arrêter, les larmes perlèrent le long de ses joues, silencieuses, aussi chargées de douleur que de joie.

La tension de l'air retomba comme un soufflé au bruit des petites pattes de la Shugo se précipitant sur Maylanee. De son visage radieux aux bras tendus, tout en elle exprimait sa joie sincère de revoir son amie, provoquant un contraste saisissant avec la scène qu'elle venait d'écourter. Le bras de la rôdeuse tenant la dague se baissa tandis que Maylanee se plaçait devant elle, sans doute pour la même raison. Et si son instinct lui criait de garder l'arme réconfortante en main, elle la rangea néanmoins à sa ceinture, la camouflant habillement sous ses vêtements mais de manière à pouvoir y accéder facilement. Et, pendant que la templière se baissait pour étreindre la petite Shugo, elle ramassa le carnet éventré et le fourra dans son cube sans y prêter plus d'attention que nécessaire.

Ensuite seulement, elle les regarda vraiment : enlacées autant que la condition de Maylanee leur permettait, la queue de la Shugo battant férocement, teintant l'air du rythme métallique du bijou. Elle ne voyait le visage de ni l'une ni l'autre, mais il n'était pas difficile d'imaginer de grands sourires tant la joie semblait irradier de leur petit cocon.
Au premier abord, elle ne ressentit rien de particulier, murée comme elle l'était dans ce vide d'émotions. En temps normal, elle aurait sourit affectueusement, au lieu de les regarder de cet air trop neutre et indifférent. Et la douleur fusa sans prévenir, s'engouffrant dans une faille de sa carapace émotive, remplissant le vide aussi vite qu'un raz de marée et faisant voler en éclat les barrières. Elle hoqueta, tressaillit, la respiration soudain devenue difficile. Sa main se porta dans la même seconde sur son cœur, les ongles serrés sur le vêtement à presque s'en griffer la peau, comme si ce geste avait le pouvoir de faire disparaitre la douleur poignante. Ses prunelles semblèrent revenir à la vie aussi, exprimant désormais souffrance et peine.

Elle détourna le regard, le fixant sur un arbre proche. La douleur reflua quelque peu, moins vive mais toujours présente, tourmenteuse. Parce que c'était à ça que devrait encore ressembler leur amitié, c'était comme ça qu'elles devraient agir. Pas à coups de dagues, de secrets et de mots douloureux. Et tout ça, c'était de sa faute, parce qu'elle n'était pas capable d'agir comme une amie devrait le faire, parce qu'elle était trop buttée, parce qu'elle n'arrêtait pas de tenir les gens éloignés d'elle. Parce qu'elle allait au devant d'une mort certaine. Parce que même le constat de leur amitié en lambeaux ne parvenait pas à lui faire changer d'avis. Cette pensée sembla envoyer une autre décharge de douleur, lui faisant serrer une nouvelle fois la main sur son cœur.

Elle se concentra sur l'arbre pour arrêter d'y penser avant qu'un bruit lui fasse tourner la tête, la renvoyant vers leur bonheur, bien involontairement. Le mieux, ça serait qu'elle s'en aille, maintenant. Mais ce bruit...

La scène prenait là une tournure singulière à laquelle elle n'était pas du tout préparée. Elle se doutait bien que les négociations entre Leiji et Maylanee ne se seraient jamais déroulées de la façon dont cette dernière l'avait espéré. Néanmoins, elle n'avait ne serait-ce que soupçonné que l'ex-mercenaire proposât une telle "alternative" à la stratégie de dissuasion manquée de son amie. Pas plus d'ailleurs que l'arrivée impromptue de cette jeune Shugo dont le nom et l'apparence lui étaient familiers. Sans doute l'avait-elle croisée au manoir à cette époque, au détour d'un couloir. Il n'empêchait que son entrée avait clairement adouci l'air ambiant, le rendant presque agréable s'il n'y avait eu ce bruit. Léger et quasiment imperceptible, personne ne semblait l'avoir perçu sinon "elle". La rapide interruption de ses mouvements ne trompaient pas, elle avait également entendu. Reportant son regard sur la rôdeuse, elle ne put retenir un petit sourire de satisfaction. Décidément, son désir de l'affronter ne faisait que croître au fil des heures. Son calme, sa rapidité d'analyse, ses réflexes aiguisés, tout en Leiji faisait littéralement bouillir la moindre cellule de combativité à l'intérieur de son corps. Maintenant encore, alors que ni Maylanee ni son amie shugo n'avaient remarqué quoi que ce soit, Leiji était aux aguets. Elle conservait encore son calme tout en cherchant à définir l'origine de ce son inquiétant par sa discrétion. L'assassine reprit cependant assez rapidement sa concentration, un souvenir précis de cette fameuse nuit donnant subitement à ce bruit anodin une ampleur toute autre. Des frissons se mirent à courir le long de son échine, se répandant rapidement à tous ses membres, comme si un vent glacial venait doucement lui souffler sur la nuque. Un vent glacial oui... De ceux qui balayent continuellement les vastes plaines de Brusthonin, ou qui mordent avec férocité la chair des voyageurs sur les collines de Beluslan... Cette tension... Cette sensation... Il était là, c'était une certitude. L'espace d'un instant, elle crut sentir le regard froid d'yeux écarlates se poser sur elle. Saisissant instinctivement ses dagues, elle s'approcha furtivement du groupe dont elle était séparée jusque là. S'arrêtant à hauteur de la rôdeuse qui était toujours sur ses gardes, elle murmura à son intention:

"Nous ne sommes pas seules."

L'assassine ne ressentait pourtant aucune hostilité, pas la moindre parcelle d'une aura combative. Un calme total qui contrastait sérieusement avec l'anxiété qui l'étreignait peu à peu. La situation aurait été tout autre si elle avait été seule, mais la présence de Maylanee et de la dénommée Ruby l'empêchait d'agir librement, sa priorité actuelle demeurant la sécurité de son Général. Et puis s'il s'agissait bien de lui, elle n'avait aucune certitude quant à à sa "position". Quelques temps plus tôt, il avait pris la défense de Leiji, à sa façon certes, mais il l'avait clairement protégée. Il ne l'avait pas non plus poursuivie elle, et avait même ouvertement permis sa fuite. Que voulait cet homme? Et que faisait-il ici présentement?

Sa tension déjà conséquente grimpa pour le coup d'un cran. La templière leva alors vers elle des yeux inquiets, ressentant sans doute l'angoisse de sa seconde.

"Aya? Quelque chose ne va pas?"

Sans même la regarder, ses pupilles d'argent s'agitant frénétiquement à la recherche du moindre mouvement suspect, elle répondit à voix basse:

"Soyez toutes vigilantes, j'ai comme un mauvais pressentiment..."

Cachée dans les fourrées, j'attendais mon heure avec impatience. Difficile de rester tranquille quand le trésor me faisait de l’œil comme ça. Et quel trésor !! J'en salivais d'avance, me retenant à grand peine de ne pas me jeter dessus immédiatement. Celui là, il était bien gardé, et si je voulais l'avoir, j'allais devoir redoubler d'ingéniosité et jouer mon coup finement. Alors je trépignais, me disant de ne pas faire trop de bruits et d'attendre mon heure.

Dans ma main, une pomme déjà entamée que j'aurai bien aimé goûter, mais bah, ce ne serait qu'en cas d'extrême urgence. Il s'en était fallu de peu déjà que je ne la vois pas !! Toute occupée à regarder les arbres, en cherchant un qui me ramènerait du côté de cette taverne à la merveilleuse, fabuleuse, terrible glace au chocolat, j'avais failli partir du mauvais côté ! Je m'en serai voulu suuuuper longtemps d'avoir raté ça en tous cas. Mais fort heureusement qu'une voix m'avait remis sur le bon chemin et laissé découvrir cette pomme. Anodine en soit, n'est-ce pas ? Mais c'est en voulant aller la chercher que j'avais vu le petit attroupement autrement charmant et le trésor qu'elles détenaient. Tout de suite, c'était moins charmant, c'était MON trésor, pas touche ! Alors ni une ni deux, j'avais sauté dans les fourrées, attrapant la pomme dans le processus. Apparemment, je n'étais pas débusquée, les dieux de la glisse étaient avec moi !

Et maintenant j'attendais la meilleure occasion pour récupérer mon trésor, me surprenant moi même par la patience dont j'étais capable... Mais bon, la maigrichonne toute pâle et sa copine rouquine avaient l'air de chercher quelque chose. Un autre trésor ou les renforts ? A moins que je n'ai pas été aussi discrète ? Naaaaaa, impossible !!

Là !!! Elles regardaient toutes du même côté, laissant l'accès au trésor libre ! Ni une ni deux, je bondis hors des fourrées avec toute la grâce dont j'étais capable à cet instant - autant dire aucune -, les deux bras en avant, prête à saisir la anse du trésor. Je l'agrippais fermement et tirai de toutes mes forces pour le déloger à sa propriétaire, comptant sur l'effet de surprise mais prévoyant quand même une certaine résistance. Les Shugos, ça ne laisse pas s'enfuir les trésors comme ça, c'était bien connu. Seulement... pas de résistance ici et au lieu de retourner aussi sec me cacher dans les buissons, je basculais en arrière, entrainant le trésor dans ma chute.

" Aie aie aie ! Non mais ça ne va pas non ? C'est tout renversé maintenant, c'est malin... " chouinais-je, ramassant déjà les trucs qui me semblaient succulents, même si je n'avais aucune idée de ce que ça pouvait bien être.

Cette odeur de cannelle et de vanille que sa chevelure dégageait, cette chaleur dans l'étreinte des bras de son amie, Ruby était si contente qu'elle en oubliait les mois qui l'avaient séparé de sa tendre complice culinaire, qu'elle en oubliait la tristesse et la douleur qu'elle avait éprouvée alors qu'elle se trouvait seule au manoir. Enfin presque seule, puisqu'il y avait ce drôle de bonhomme avec elle de temps à autre.

Ruby sentait bien que quelque chose n'allait pas dans cette étreinte, mais sentant son amie pleurer à chaudes larmes, elle ne pu s'empêcher d'en faire autant, pleurant à grand coup hoquet, comme une enfant après une grosse peur.

L'attitude des deux autres femmes finit par calmer les deux amies, et Ruby leva la tête à peine une seconde trop tard, alors que son panier lui était arraché des mains.

"Aie aie aie ! Non mais ça ne va pas non ? C'est tout renversé maintenant, c'est malin ... " baragouina la jeune voleuse qui était en train de ramasser les victuailles répandus maladroitement sur le sol.

"Ho ! " ne pu que s'écrier la malheureuse shugo voyant tous ses beaux fruits étalés dans la poussière, tout tannés par la chute de surcroit.

Regardant partout autour d'elle, roulant ses yeux dorés de peine et de stupeur mélangée. Elle se dégagea alors des bras de son amie afin de faire un état plus précis des dégâts subits par cette maladroite petite femme.

"mais enfin demoizelle, qu'est ze qui vous prend donc" demanda t elle d’un air étonné « vous zavez zi faim que zela que vous voulez me voler mon panier ? »

Ruby secoua la tête de gauche à droite, et soupira en regardant Maylanee.

Les moustaches de la shugo frétillèrent d’un coup, ses oreilles bougeaient frénétiquement et ses beaux yeux d’or roulaient et brillaient d’un éclat aussi vif que l’astre. Elle ouvrit la bouche deux fois, sans qu’aucun son n’en sorte, et commença à trépigner d’une patte sur l’autre faisant ainsi tintinnabuler son anneau de queue sur le sol. Un sourire se dessina alors sur ses lèvres et elle désigna Maylanee du doigt, sautillant maintenant sur place. Elle venait enfin de percuter l’état de son amie, ce qui l’avait tout d’abord induit en erreur ne la reconnaissant pas de suite sur le chemin, ce qui l’avait gênée ensuite lors de leur câlin. Maylanee était enceinte !!

« Mais Mais…..mais …vous…tu….rholalalalalalal !! un bébé !!! un BÉBÉ !!! »

Ruby tourna la tête vers Leiji et répéta sa phrase , des larmes de joie coulant le long de son poil blanc.
« Mais Mais…..mais …vous…tu….rholalalalalalal !! un bébé !!! un BÉBÉ !!! »

La shugo se retourna alors vers son amie

« hihihihihiiii » furent les mots qui sortirent de sa bouche

Elle se tourna alors vers la petite voleuse, oubliant finalement le petit accident

« allons allons…ramazons tout za et faizons un petit repas de mon zecret, pour fêter tout za !! »

Ne laissant le temps à personne d’intervenir la jeune shugo commençait à ramasser les denrées sauvables et les placer dans son panier.

La petite boule de poils regardait du côté des gardiennes de trésor, baragouinant quelque chose à propos d'un bébé. Un bébé, où ça un bébé ? Je regardais à gauche, à droite... devant et derrière aussi, et même au dessous ! J'aurai bien jeté un œil dessous, mais ça me semblait un peu bête là... Et puis, j'en voyais pas moi de bébé !! Pis j'en entendais pas non plus, et je savais de source sûre que ces machins là, ça faisait un bruit de tous les diables ! Ceci dit, ça semblait marrant quand même...

Bref, pas de bébé à l'horizon, juste une boule de poils trop nerveuse pour son propre bien, deux coincées qui ne me semblaient pas super marrantes, et une... han !! J'tenais le bébé !! A moins qu'elle ne parle de ces trucs bien appétissants encore au sol ? On parlait d'une Shugo après tout... Dommage pour celle qui ressemblait à une montagne du coup !

Je ricanais, ramassant un truc rond et d'une couleur me donnant envie et croquais dedans ! Pouah, c'était quoi ce truc ?? Je fis la grimace et recrachais tout tant qu'elles avaient le dos tourné. Beurk beurk et beurk... Où était la glace au chocolat, pour faire passer ce goût immonde ? Dépitée, je me laissais aller dans l'herbe, m'amusant un moment de la lumière dans les feuilles. C'était drôle, ça brillait pas toujours pareil suivant comment ça bougeait là haut !!
J'étais même tellement absorbée dans le patchwork de couleurs que je sursautais quand le mot 'repas' tilta à mon oreille. Ha, doux son !! Ni une ni deux, je sautais sur mes pieds en bon ressort que j'étais, mon immense sourire gourmand aux lèvres et regardais les filles avec envie :

" Et y aura de la glace ? Et des sexy boys ? "

Oublié le truc pas bon, je me dépêchais d'aider la ptite boule de poils à remettre les minis trésor dans le gros, sautillant sur place d'excitation. Miam miam !! Un bon repas, et après, une bonne petite glisse, le tout, en charmante compagnie bien entendue ! Du moins, j'espérai.

Oui, elle s'était trompée dans son analyse, du moins en partie, tout ce qui concernait les références à Asmodae s'était avéré exact, mais ce n'était pas "Lui". Elle en était presque déçue car en lieu et place de ce mystérieux assassin avait surgi une sorte de... Folle, électrique, terriblement agaçante et bien trop joyeuse pour être honnête. Ou alors c'était vraiment un cas d'étude.

Oui, Maylanee lui avait maintes et maintes fois répété d'être plus détendue lors des premiers contacts, ouverte et aimable: amicale. Mais c'était toujours une épreuve dont elle n'avait triomphé une seule fois.

Oui, à part elle, personne ne semblait sur le pied de guerre, au contraire ces dames semblaient amusées, surprises tout au plus.

Alors pourquoi ses mains à elle serraient les poignées de ses lames avec tant de force? Pourquoi la seule chose qui lui venait à l'esprit de façon assez nette pour modeler un désir était l'idée de fondre sur cette femme et de la neutraliser avant de poser la moindre question? Et par dessus tout, qui était-elle pour s'exprimer avec tant d'aisance en élyséen malgré ses origines apparentes?

Cela pouvait paraître absurde au vu de la situation et des personnes à protéger mais Ayalee en venait presque à regretter que l'invitée surprise ait fait l'impasse sur une entrée en scène plus virulente, explosive... Violente. S'il n'y avait eu qu'elle, pas une seule seconde elle n'aurait hésité, amicale ou pas, bien intentionnée ou non, l'assassine se serait fait une joie de faire découvrir l'hospitalité élyséenne façon Leian. Mais non, au lieu de ça, elle était contrainte à une simple et ridicule surveillance d'une peluche, d'une évadée d'asile asmodienne, d'une rôdeuse dont les pensées demeuraient un mystère pour elle et d'une femme qui mériterait bien d'apprendre la méfiance de la manière forte... Pour couronner le tout, l'intruse s'invitait quasiment à la suite du petit groupe, et tout le monde semblait trouver cela normal. Poussant un soupir agacé, elle leur tourna le dos le temps qu'elles se décident quant à la suite du programme qui pour le coup, virait en cauchemar de son point de vue. De la nourriture, du rire, de la bonne humeur...

Tss... Tu parles de guerrières...

Décidément cet endroit ne manque pas de piquant. Depuis quelques jours que L’assassin surveille de loin la taverne, attendant on ne sait quoi, il n’avait rien remarqué de spécial. Jusqu’au moment où elle est arrivée et c’est mise en tête de surveiller la taverne elle aussi, visiblement. Plutôt étrange pour une personne sensée y vivre …

Plus elle se camouflait de tout et plus il devenait difficile de la suivre. Une chance que lui était suffisamment loin pour ne pas risquer d’attirer l’attention. Il la perdait de vue de temps en temps. Mais c’est vraiment étrange comme comportement. Comme si elle-même espionnai ces propres amis … Déjà que Leire les trouves tous plus étranges les uns que les autres mais là … Et il n’était pas au bout de ses surprises.

Il est intrigué quand la rôdeuse commence à fixer un point précis vers le village, et se camoufle encore plus. D’autant que du coup, elle se rapproche ostensiblement de lui. On ne sait jamais, plus elle est proche et plus elle peut le repérer. Sachant que lors de leurs confrontations jamais elle n’a dévoilé vraiment ses capacités. Finalement il repère la petite troupe qui approche, et en reste bouche bée !!

L’assassine !! Celle là même qu’il avait fait fuir de la chambre de Leiji. Enfin c’était sa vision des choses. Et elle revenait sur les lieux de son forfait comme ça, marchant tranquillement, accompagnée de … Hum c’est comment son nom déjà … Bref peut importe, c’est la templière amie de Leiji. Il l’avait rencontrée une fois, et était sur le point de la faire parler si la rôdeuse n’était pas intervenue. Entre temps il avait eu des réponses mais il se souvient bien d’elle. Et vu la taille de son ventre … elle n’est pas venue seule …

Ça devenait passablement intéressant. Il a sous les yeux une amie intime à priori de la rôdeuse, qui se ballade nonchalamment à coté d’une assassine qui à elle-même tenter de tuer la dite Rôdeuse. Faut bien avouer que même au Manoir on ne voit pas des trucs pareils ! Avec la dame de glace les histoires compliquées n’ont pas le temps de vivre assez vieilles. Aussi Leire n’est pas étonné quand la première lame fend l’air à une allure folle, pour aller se planter dans l’épaule de l’assassine. Quelque peut soulager que la lame ne soit pas partie dans sa direction à lui.

La suite n’est qu’une espèce de tranche de vie qui ne peut pas exister. Une pièce de théâtre sans doute, une « Rencontre » comme on ne les voit que sur les planches arpentés par les artistes baroudeurs qui racontent leurs histoires à dormir debout. Un conte pour effrayer les enfants … Une mauvaise blague … Et pourtant, tout cela se passe devant ses yeux !!!

Bon sang que ces gens sont compliqués, fous, irresponsables, ce qui dérange L’assassin à se moment là c’est de manquer de qualificatif pour décrire ce qu’il voit, là, sous ses yeux. La scène le captive tellement qu’il n’entend pas arriver le petit animal, il s’en rend compte juste quand celui-ci viens se frotter contre le bas de son pantalon. Mais comment l’a il trouvé ???? Ces animaux ont des sens or du commun c’était certain.

Alors par jeu, ou par provocation peut être, Leire lui fit de magnifique yeux rouges, et plongea dans le siens un regard qui en disait long. Persuadé que le petit animal allait fuir à toutes jambes loin de ce danger qu’il représente. Quelle ne fût pas sa surprise quand bien au contraire, loin de fuir aussi vite que possible, celui-ci plante ses dents dans le mollet de l’assassin, qui de surprise autant que de douleur ne peut réprimer un petit cri. Sa main plonge sur l’animal et le capture aussi sec, le retirant de ses chairs.

Au moment où il s’apprête à étouffer l’animal en serrant de plus en plus fort, il se rend compte que son cri à été perçu. Faut dire aussi, une rôdeuse et une assassine, ce n’est pas vraiment le meilleur public pour passer inaperçu. La situation devient rapidement préoccupante et l’assassin se prépare au pire. Mais alors qu’il est près à bondir lame dans une main, écureuil dans l’autre, un autre personnage lui vole la vedette.

Cette Asmodienne se jette sur eux. Et dire qu’il ne l’a même pas entendue arrivée, bien trop obnubilé par ce qu’il voit et qui le rend plus que perplexe. Mais là pour le coup, c’est une chance pour lui. Le voilà d’un coup redevenu une ombre, avec un écureuil dans une main, mais une ombre quand même. La scène qui suit est à la hauteur du reste. Aucuns mots n’existent pour décrire ce qui se passe …

D’ailleurs, à voir la tête de l’Assassine, Leire se sent moins seul d’un coup. Ils sont sans doute vraiment tous fous. Ça le rassure un peu … Alors que toute la petite troupe se dirige en bon ordre vers la taverne, et que tous lui tourne le dos, il plante son regard dans celui de l’écureuil et lui chuchote quelques mots.

« Toi mon vieux, il vaudrait mieux que l’on ne se rencontre plus ».

Et alors qu’il pense que tout le monde a le dos tourné. Il jette la bestiole sans ménagement sur la route. Celle-ci traverse les fourrées et fini en roulade sur le chemin. Bon débarras.

L'Asmodienne avait déboulée sans crier gare, chamboulant encore une fois l'atmosphère. Si, pour sa part elle avait été surprise, prompte à reprendre sa dague en main, elle avait été bloquée dans ses gestes par le comportement de l'intruse. Hostile, oui, mais définitivement pas envers elles. Elle savait d'expérience que les plus dangereux ne sont souvent pas ceux auxquels on pense au premier abord : elle avait déjà vu cette Asmodienne lors des quelques réunions pour définir une stratégie contre Séverin et ses généraux, elle savait qu'elle appartenait aux Banshees et que ces dernières étaient réputées pour être des assassines hors pair. Alors, elle n'en n'avait peut-être pas l'air à pleurnicher devant le panier de Ruby ou à les regarder les yeux plein d'envie, mais elle était sans doute dangereuse, bien que pour sa part, elle ne l'avait jamais vue autrement qu'à faire des pitreries.

Alors, dangereuse, elle l'était sûrement oui, mais elle ne l'attaqua pas, finissant même par ranger sa dague. Elle restait méfiante, mais à vrai dire, tant que Ruby et cette Asmodienne seraient là, l'ambiance resterait sans doute plus légère. La distraction qu'elles offraient lui permettait d'essayer de se concentrer sur autre chose que la douleur qu'elle ressentait. Surveillant d'un œil l'Asmodienne, de l'autre Ayalee, elle laissa faire le cours des choses. Tellement bien même qu'elle suivit le petit groupe sans plus se poser de questions quand il se mit en marche en direction de la taverne. L'humeur semblait être redevenue bon enfant pour la plupart d'entre eux. Si Maylanee repensait encore à leur... différence d'opinion, elle n'en montrait rien, souriante et apparemment heureuse. Ruby étincelait presque, encore toute à sa joie de revoir sa grande amie, sans doute pressée de lui faire goûter quelques délices de son choix. L'Asmodienne semblait fidèle à ce qu'elle en avait déjà vu : surexcitée, et pas vraiment concernée. Tant que cela restait ainsi... Quant à Ayalee... L'assassine semblait tellement hors de contexte, tellement... comme elle que si son humeur avait été différente elle aurait compatit. A la place, elle continua de garder un œil sur elle.

Elles n'étaient pas très loin de la grande bâtisse, et on pouvait aisément la voir depuis la forêt. Pourtant, elle ne réalisa vraiment où elle était en train d'aller que quand elle entendit un marchant parler à forte voix, sans doute mécontent. Elle ne pouvait pas retourner à la taverne, encore moins faire semblant que tout allait bien pendant si longtemps. D'ailleurs, elle n'était pas la seule dans cette situation. Nul doute qu'Ayalee rencontrerait des problèmes en croisant Falkhen. Et si elle adorerait voir ça, elle ne pouvait simplement pas le faire. Sa présence n'attirerait que plus de questions, de regards en coin et d'essais pour la dissuader.

Elle s'arrêta net, se souciant peu de savoir si son arrêt serait remarqué ou non. Savoir si elle allait laisser ses amis en compagnie d'une assassine et d'une Banshee ne lui prit qu'un seul instant : Maylanee semblait avoir une certaine emprise sur Ayalee, elle pouvait donc compter sur le fait que celle-ci n'attaquerait pas. De même, elle supposait qu'elle défendrait Maylanee en cas d'attaque de l'Asmodienne, tout comme Falkhen serait en mesure de défendre Ruby et Sawyer. Quant à l'assassin Asmodien... elle espérait simplement que tout irait bien.

Un dernier regard au groupe et elle se décida une fois pour toutes, tournant le dos, serrant les dents et rebroussa chemin en direction de la forêt. Si elle vit le petit écureuil faire un rouler-bouler sur le chemin, elle préféra ne pas s'arrêter et s'empêcha de frotter sa joue douloureuse. Regardant fixement devant elle, elle prononça les mots de manière à se faire entendre d'une éventuelle personne camouflée tout en évitant au groupe de l'entendre.

" J'espère que vous aimez ce que vous voyez. "